Le 7 janvier 2023, Lucas, 13 ans, s’est suicidé. Tué par le harcèlement homophobe dont il était victime. Au-delà de l’émotion que son décès soulève, les suicides d’enfants LGBTI, médiatisés ou non, doivent pousser les autorités à agir et à doter l’institution scolaire des moyens et outils pour y répondre. Et au-delà, notre société doit regarder ce sujet-là en face.
Lucas s’est suicidé, il avait 13 ans.
Ce collégien s’est donné la mort pour ne plus avoir à subir le harcèlement, notamment homophobe, qu’il avait pourtant dénoncé, que les équipes éducatives de son établissement avaient pris en compte et sur lequel, comme le souligne sa famille, elles avaient agi. Pas assez, pas jusqu’au bout, pas à temps…
Les humiliations, qu’elles soient dans le monde réel ou sur le numérique, ne sont jamais sans conséquence. Les préjugés et la bêtise sont des armes qui blessent et tuent. Combien de jeunes, et de jeunes LGBTI, ont eu à subir les harcèlements et les brimades, si ce n’est plus encore de la part de camarades de classe ? Combien de jeunes ont préféré s’ôter la vie pour ne plus avoir à les subir ? Lucas, Dinah, Fouad et tant d’autres. Trop d’autres.
Des morts qui s’égrènent comme une liste horrible, sans que rien n’évolue
Lucas en janvier 2023, un élève transgenre au Mans en mai 2022 – dont le prénom n’a pas été divulgué –, Dinah en octobre 2021, le passage à tabac de Yanis en octobre 2021. L’absence de moyens et d’outils spécifiques dans l’Éducation nationale avait aussi coûté la vie à Fouad en 2020. Une jeune fille trans, qui s’était suicidée deux semaines après que la direction de son lycée se soit opposée à sa venue en jupe. Elle avait enregistré en vidéo l’insupportable réponse de la vie scolaire. Et l’académie de Lille publiait un communiqué dans lequel elle mégenrait l’élève parlant d’elle au masculin… Le suicide de Lucas n’est pas un cas isolé.
Le gouvernement doit entendre les revendications des associations, écouter les familles pour enfin avancer sur ce sujet. Elles ont des actions concrètes à mettre en place. Il faut une réponse à la hauteur des enjeux pour éviter d’autres évènements similaires.
On ne peut accepter ni l’oubli effarant de l’homophobie dans l’hommage rendu par le ministre de l’Éducation nationale ni les propos du candidat président Emmanuel Macron en avril qui se disait opposé à ce que la sensibilisation à l’homophobie se fasse à l’école primaire, ou même au collège.
L’école n’est pas un univers étanche à ce qui traverse la société
Dans son rapport 2022, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) mentionnait l’enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès en 2018 sur le profil des personnes victimes d’agression anti-LGBTI et les contextes dans lesquels s’inscrivent les agressions. L’univers scolaire est celui où se sont produites des agressions verbales pour 26 % des personnes interrogées, et devance d’autres espaces comme la rue ou le lieu de travail. Une enquête du Mag Jeunes et de l’Unesco démontre, elle, qu’un jeune LGBT sur deux a vécu une situation de harcèlement scolaire. Celle d’Arnaud Alessandrin et Johanna Dagorn de 2018, « La santé des élèves LGBTI », que 73 % des jeunes LGBTI collégiens avaient ressenti « des difficultés scolaires ou relationnelles ». 57 % au lycée…
Ces chiffres sont édifiants. Ce sont des démonstrations scientifiques du mal être que les élèves LGBTI, des enfants, peuvent connaître, au sein d’un milieu qui éduque, forme, habitue, conditionne, et qu’ils doivent fréquenter pendant de longues années. S’ils ont 5 ans maintenant, on ne peut pour autant en déduire qu’ils seraient circonscrits à une époque révolue, eu égard aux manifestations récentes de LGBTIphobies.
Cette microsociété qu’est l’école, qu’ils connaissent pendant au moins 13 années, est leur monde pendant les étapes cruciales de développement personnel, de découverte de soi et d’une orientation sexuelle ou identité de genre qui diffère de la majorité de leurs camarades. Sur ce sujet, les autorités politiques et administratives ne peuvent pas rester les bras ballants.
Notamment devant les problématiques – hélas classiques – de harcèlement, les discriminations LGBTIphobes, par des discours, des actes, qu’ils aient lieu dans l’institution, dans la classe ou à la récrée, dans ses univers périphériques, les transports, les sorties scolaires… et prolongées dans les sphères numériques des élèves ; font basculer la vie d’enfants. Les suicides médiatisés continuent d’illustrer les souffrances qui sont les leurs. Ce sont les mêmes que celles ou ceux devenus des adultes engagé·es dans les associations LGBTI ont aussi connues. Ce sont celles avec et contre lesquelles nous avons dû nous construire.
Le cri de colère à chaque nouvelle mort, c’est celui de voir que les discours officiels, même lorsqu’ils vont « dans le bon sens », n’ont rien produit. Que la volonté politique s’est arrêtée à une sortie médiatique (quand elle a existé). Et la colère aussi de voir que celles et ceux qui accréditent les thèses horribles de la conversion ou du recrutement à l’homosexualité ou à la transidentité continuent d’être visibles et audibles. La colère de voir toutes ces personnes, ces élu·es, qui font écho aux huées fanatiques…
Les actions à mener pour notre école publique
La lutte contre le harcèlement tout entier, celle contre l’homophobie et la transphobie ne peuvent plus être ignorées. Il faut les intégrer à chaque niveau dans les programmes de sensibilisation des personnels intervenants à l’école, au collège, au lycée. Car en parler c’est aider à prévenir ce genre de situations. C’est aussi aider et libérer la parole des jeunes et des parents, et favoriser l’accompagnement éventuel.
Des académies ont créé un observatoire académique de prévention et de lutte contre les discriminations LGBT+. C’est un point à dupliquer, qu’il faut étudier attentivement dans ses périmètres afin de lui donner les moyens nécessaires de réussir ses missions de prévention et d’éducation.
Au sein de leur cursus de formation, les enseignant·es du premier et second degré, ainsi que les personnels présents dans les environnements pédagogiques (dirigeants d’établissement, gestionnaires, psychologues scolaires, CPE…) doivent tous avoir eu un temps de formation sur ces questions pour leur niveau de responsabilité, leur travail, selon leur contact avec les élèves.
Ainsi que le collectif de lutte contre les LGBTIphobies en milieu scolaire le demande, il est impératif de relancer le groupe de travail de la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) dédié à la lutte contre les LGBTIphobies en milieu scolaire. Les supports, outils et structures listés par les services de l’Éducation nationale doivent être diffusés dans tous les établissements. Les personnels doivent être soutenus et avoir les moyens, humains, techniques et financiers de pouvoir travailler ces sujets.
L’État et les académies doivent apporter un soutien aux associations LGBTI œuvrant à l’éducation et à la prévention. Ils doivent permettre aux associations et syndicats lycéens de travailler sur ces sujets avec les meilleures dispositions. Exigeants quant à leur niveau et bienveillants quant à leur accueil, les établissements doivent permettre des interventions en milieu scolaire (IMS), réalisées par les associations dans les cadres les plus propices à leur réussite. Il ne saurait être question d’une singularisation d’un établissement, où la direction, le personnel, ou n’importe qui s’opposerait à la tenue d’IMS contre les LGBTIphobies.
Cela doit amener à une coordination interacadémique et au sein des directions académiques afin de soutenir les initiatives contre le harcèlement et les haines anti-LGBT. Le tragique épisode d’une enseignante sanctionnée pour avoir porté un masque antiCovid aux couleurs arc-en-ciel, avec les explications lunaires de la direction de l’établissement et de l’inspection académique qui ont suivi, ne saurait être toléré.
Les conseils départementaux et régionaux ont des sièges au CA des collèges et lycées
Devant ces situations, les latitudes officielles des élu·e·s ne sont hélas pas nécessairement nombreuses. Toutefois, il demeure différentes possibilités pour démontrer la volonté politique sur ces sujets et connaître les réponses que la hiérarchie académique apporte à des sujets dont les élu·es auraient connaissance ou simplement de demander quelles actions existent dans les établissements pour faire face et prévenir le harcèlement et les LGBTIphobies.
Dans chaque collège et lycée, les conseils départemental et régional ont des sièges au sein des CA. Les élues qui y siègent peuvent obtenir des informations sur les projets d’établissement, les demandes d’IMS, les questions que les parents d’élèves peuvent soulever quant à la vie scolaire et l’ambiance dans les établissements, les enjeux soulevés par les représentants des élèves. À elles et eux de porter la parole politique de leur conseil sur leurs exigences dans la lutte contre les LGBTIphobies. De modeler aussi avec les responsables d’établissement une réponse à laquelle pourront participer les conseils et les associations avec lesquelles ils peuvent déjà travailler.
Pour notre débat public : être intransigeant face aux discours haineux, réducteurs et mensongers
Dénoncer les discours LGBTIphobes d’où qu’ils viennent est une évidence qui n’est pourtant toujours pas une donnée de base. Il ne saurait être question de considérer qu’un discours homophobe, transphobe peut être débattu ou entendu impassiblement, tandis que les responsables publics prétendent être majoritairement contre l’homophobie. Il faut se montrer à la hauteur et sincère devant ce discours.
Il faut nommer correctement les choses pour ne pas rajouter du malheur au monde. C’est pourquoi nous dénonçons et appelons à dénoncer les propos de haine à l’encontre des personnes LGBTI. Les prises de position contre le combat en faveur de l’égalité des droits, les prises de paroles s’émouvant de rendre visible la lutte contre l’homophobie, les propos contre les marches des fiertés et les visibilisations banales des personnes, des couples et des familles LGBTI… Toutes ces paroles exprimées par les élu·e·s de différents partis qui y ont pris part sans aucun regret l’ont été en dépit des avertissements de l’époque.
Tous formulés par les associations LGBTI sur ce que ces discours engendraient comme dangers pour d’autres citoyen·nes, et sur les violences qu’ils ont générées.
Les élu·e·s, de droite ou d’ailleurs, qui considèreraient que l’homophobie ne serait pas un problème, à contrario du combat pour l’égalité, ou bien que ce dernier ne serait pas pertinent, continuent de créer un environnement dans lequel un enfant ne se juge pas à sa place, se déconsidère. Pire encore, il permet à d’autres, à ses harceleurs, de se croire libres de leurs actes et paroles homophobes ou transphobes.
Des défaillances et des choix politiques nourrissant les LGBTIphobies au plus haut niveau de l’État
Depuis les déclarations du président candidat en avril 2022 sur la lutte contre l’homophobie à l’école ou son choix délibéré de nommer et de garder des ministres ayant paradé en 2013 dans la rue contre les droits des personnes LGBTI, contre ceux méprisant « Ces gens-là », rien n’est excusable. Rien ne sera oublié.
L’émotion du ministre Ndiaye, lors de sa réponse à la sénatrice Vogel, sera mise à l’épreuve. La légitime émotion que cette situation a suscitée ne peut s’arrêter à la diffusion des questions au gouvernement. Elle doit, si elle est sincèrement traduire politiquement, se concrétiser par des mesures simples, mais fortes. Des mesures que le précédent ministre de l’Éducation nationale n’a jamais mises en place, quand il ne les a pas bloqués.
L’ensemble des militant·e·s de HES reformule ici que leurs pensées sont tournées vers les parents et les proches de Lucas. Vers toutes ces familles qui doivent vivre avec l’absence d’un enfant que la peur des autres, la haine de soi, la crainte d’une blessure, les humiliations continues et la peur de la différence ont poussé à l’irréversible.
Ce sont des échecs de notre nation.
Ils sont une plaie que seules l’action et la volonté politique pourraient apaiser. Elles vont de pair avec un geste simple : la condamnation, partout et pour tou·te·s, des discours LGBTIphobes. De tous les discours de haine, à bas bruit ou grandiloquents.
C’est de la vie d’enfants, et d’adultes aussi, dont il s’agit.
Les outils d’aide :
- Suicide écoute (24 h/24, 7j/7) 01 45 39 40 00
- SOS Amitié au 09 72 39 40 50, également 24 h/24 et 7 j/7.
- SOS homophobie : 01 48 06 42 41