Voici la tribune de Gilles Bon-Maury, président d’HES, publiée par Rue 89 le 24 août 2008, quelques jours avant le débat autour de la gestation pour autrui organisé par HES et la section de La Rochelle du PS.
Chaque victoire militante en annonce d’autres. Après l’accès à la contraception, la légalisation de l’avortement. Après l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, la lutte contre les violences domestiques.
Aujourd’hui, avec la maîtrise de la procréation, la marche se poursuit. Après avoir préservé l’acte sexuel du risque d’être parent, après avoir distingué entre l’acte biologique et l’acte biographique, elle se poursuit vers la distinction entre le fait biologique de la gestation et le fait biographique de l’engagement parental.
Aujourd’hui, c’est l’engagement des parents à l’égard de l’enfant qui va naître l’acte fondateur de la famille. Un projet familial peut reposer sur plusieurs adultes, dont certains seulement s’engagent dans une responsabilité parentale. Les autres s’inscrivent dans l’histoire familiale, en s’y investissant moins, à travers la contribution délimitée d’une gestation ou d’un don de gamètes.
Le débat sur la révision de la loi de bioéthique est engagé. Il s’est rapidement perdu dans des caricatures. Les religions ont été les plus bavardes et les plus productives dans le cadre des états généraux de la bioéthique. Elles ont brandi des témoignages dramatiques venant de pays qui n’offrent aucun cadre juridique ‑l’Inde, l’Ukraine- pour s’opposer paradoxalement à ce qu’un texte autorise et encadre strictement la gestation pour autrui en France.
Là où la loi encadre, personne ne porte un enfant pour de l’argent
Dans toutes les colonnes, les mêmes poncifs se sont exposés, dans une confrontation sans dialogue. Aucun espace de discussion n’a su aborder le débat sans prendre parti. Celui qui parvient à imposer les termes du débat le clôt et se donne en même temps les moyens de l’emporter.
Il est inutile d’alimenter les fantasmes. Là où la loi encadre correctement la gestation pour autrui, personne ne porte un enfant pour de l’argent. La loi impose à la gestatrice d’être déjà mère d’au moins un enfant. On peut exiger qu’elle ne vive pas plus de deux gestations pour autrui dans sa vie.
On peut s’assurer que ses motivations et ses capacités psychiques et physiques soient vérifiées. Le juge peut protéger la place que chacun entend occuper dans cette nouvelle famille.
Les comptes sociaux peuvent verser un dédommagement forfaitaire à la gestatrice. Ce dédommagement ne sera donc pas négocié. La contribution versée par les parents peut obéir à un barème prenant en compte leurs ressources.
Des enfants pas plus malheureux dans ces nouvelles familles
L’histoire d’une famille peut s’écrire avec, en plus des parents, des donneurs de gamètes et une gestatrice. Elle peut s’écrire avec des parents homosexuels comme avec des parents hétérosexuels. Elle peut s’écrire aussi avec un seul parent. Les enfants élevés dans ces familles ne sont ni plus malheureux ni plus heureux que les autres. La preuve scientifique en a été administrée depuis plusieurs années par de très nombreuses études.
Toutes les marches contre les injustices demandent au législateur de remettre en cause les certitudes de ses prédécesseurs. Les progressistes en sont spontanément les alliés, les conservateurs en sont naturellement les adversaires.
Il est temps de réviser la définition politique, sociale et juridique du projet familial. Les réalités vécues doivent prévaloir sur les vérités biologiques. Les idées politiques doivent dominer les réflexes et les traditions. Ce débat permettra peut-être d’abandonner définitivement les visions de la société fondées sur les mesures génétiques ‑le droit du sang, le primat du biologique- pour adopter une vision de la société fondée sur les réalités vécues ‑le droit du sol, le primat du biographique.
Aujourd’hui émergent de nouvelles représentations sociales sur ce qu’est un parent, ce qu’est un géniteur, ce qu’est une gestatrice. Le géniteur et la gestatrice peuvent ne pas être des parents et permettre à d’autres de le devenir. Ensemble, autour de l’enfant, les parents, les géniteurs et la gestatrice forment une famille.
« Nous voulons que tous les enfants qui naissent soient librement désirés. Nous voulons aussi que tous les enfants désirés puissent naître. » Ainsi s’exprimait François Mitterrand en 1980.
Les familles sont faites de liens d’amour, de solidarité, de responsabilité. Le projet familial ne doit être fondé que sur le respect de chacun et sur la responsabilité des parents à l’égard des enfants. Ce modèle prévaut dans notre société depuis que la reproduction humaine est maîtrisée. C’est un progrès de civilisation. Il revient aujourd’hui aux partisans de la laïcité de le défendre.