Mercredi 22 novembre, dans le cadre d’une niche parlementaire réservée au Groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain, le Sénat a examiné une proposition de loi déposée par le sénateur socialiste de l’Hérault Hussein Bourgi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

Vichy et la loi du 6 août 1942

Sous le régime de Vichy, le 6 août 1942, Pétain signait la loi n°774 punissant “les actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe de moins de 21 ans” et a ainsi modifié l’alinéa 1 de l’article 334 du Code pénal en instaurant une discrimination dans l’âge de consentement entre rapports homosexuels et hétérosexuels : 21 ans pour les rapports homosexuels, et 13 ans pour les rapports hétérosexuels puis 15 ans à partir de 1945. Cette loi a ainsi instauré un délit d’homosexualité et a servi de base juridique pour la répression policière ( dénonciation, constitution de fichiers de police, condamnations judiciaires..) 

A la fin de la seconde guerre mondiale, cette disposition est hélas maintenue dans la loi française et il faudra attendre l’arrivée de la gauche au pouvoir et 1981, avec la loi Forni du 4 août 1982, pour que le délit d’homosexualité soit enfin abrogé en France.  

Selon les travaux de recherche menés depuis plusieurs années, on estime que près de 10 000 personnes, ont été condamnées pour des faits d’homosexualité au titre de cette Loi du 6 août 1942. 

Une proposition de loi qui donne un sens à notre mémoire collective 

La proposition de loi déposée par le sénateur PS Hussein Bourgi s’articule autour de 3 articles majeurs : l’article 1 entend reconnaître la responsabilité de la France dans les persécutions subies par les personnes LGBT entre 1942 et 1982 ; l’article 2 souhaite introduire dans le droit français un délit pénal venant réprimer les propos visant à nier la déportation subie par les personnes LGBT au cours de la Seconde Guerre mondiale ; l ’article 3 prévoit la réparation des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation.

Cette proposition de loi est un aboutissement, l’aboutissement de la mobilisation des personnes homosexuelles pour faire abolir le délit d’homosexualité en France,  mobilisation qui trouve son point d’orgue autour de l’affaire dite du Manhattan, bar de rencontres homosexuelles, qui connait une descente de police en 1977. 

La mobilisation des intellectuel·les et des artistes autour des 9 personnes interpellées cette nuit-​là aboutira à un texte de soutien publié le jour du procès, texte dénonçant le  « déploiement judiciaire (…) à une époque où l’évolution des mœurs et la tolérance de tous les comportements sexuels librement consentis deviennent des réalités pour toute société ». Si la peine reste symbolique, les 9 personnes sont pourtant condamnées en 1er instance puis en appel. La visibilité donnée à cette affaire par les prévenus eux-​mêmes,  par le monde intellectuel, par les  militants homosexuels met en évidence la nécessité politique d’abroger cette loi.

Par la suite, le sénateur radical de gauche Henri Caillavet est le 1er à vouloir mettre à l’ordre du jour parlementaire un débat sur la suppression du délit d’homosexualité qui sera définitivement aboli en 1982.

Cette loi est aussi l’aboutissement du travail de mémoire effectué par des militants, sociologues, historiens pour faire connaître et rendre visible tout d’abord la déportation homosexuelle et les persécutions subies jusqu’en 1982. 

La proposition de loi Bourgi à l’épreuve du travail parlementaire 

Aujourd’hui dans l’hémicycle du Sénat et en amont des débats, la droite, à travers notamment la voix du rapporteur de la loi Francis Spitzner (Les Républicains), a réduit la proposition de loi Bourgi à  son unique portée symbolique en sortant la période de 1942 à 1945, en refusant le principe de réparation et d’indemnisation et en rejetant la création d’un délit de négationnisme pour la déportation homosexuelle. 

A l’Assemblée Nationale désormais de se prononcer sur ce texte et nous espérons qu’elle redonnera toutes ses dimensions à cette proposition de loi. 

Depuis 20 ans, un certain nombre de pays européens, l’Autriche, l’Espagne, l’Allemagne, la Suède, l’Angleterre, ont déjà adopté des lois reconnaissant leur responsabilité dans le cadre de lois réprimant l’homosexualité et certains pays sont allés plus loin en proposant réparation pour les personnes condamnées.

En empruntant le même chemin, la France franchirait une étape indispensable pour que notre mémoire collective perdure et que notre République reconnaisse et regarde tous les pans de son Histoire en face.