Après que Le Robert a indiqué inclure le terme « iel » dans sa version en ligne, de nombreuses réactions outragées ont été entendues de différents acteurs et actrices politiques. Un procès d’intention a été lancé contre le dictionnaire et les prises de position, de la plus absurde à la plus fascisante ont eu lieu.

Ces réactions épidermiques — primaires — sont une preuve à la fois d’une intolérance indéniable et qui s’appuie sur la haine du progrès pour se faire passer pour raisonnable et intelligente. Et qui, de plus, continue de propager la peur d’une civilisation assiégée parce que sa langue deviendrait folle : vieux fantasme réac’ éculé…

Les néologismes, créations et inventions, mots dans l’air du temps, même temporaires, sont le propre d’une langue vivante, d’où qu’elle vienne et quels qu’en soient ses locuteurs. Les dictionnaires populaires, de type Larousse et le Robert se voient reprochés donc de faire leur travail en écoutant, lisant, compilant et évaluant le vocabulaire que l’on peut rencontrer de nos jours.

Il faut rappeler qu’environ 30 « néologismes » ou mots ayant intégré le discours quotidien sont ajoutés chaque année dans ces dicos. Ils ne tombent pas du cIEL !

Le iel est tombé sur la tête des réacs

En l’occurrence, le pronom iel est utilisé depuis plusieurs années et il n’y a aucune raison apparente de ne pas le voir figurer dans des recueils de mots, d’expression ou de langue.

Si un dictionnaire a vocation à répertorier les mots du langage courant, dans la vie réelle et les médias, pour que chacun·e puisse aller en lire la définition et s’informer sur l’évolution de la langue française, alors rien de ce qui s’est passé pour iel ne devrait surprendre ou interroger les personnes de bonne foi.

Il apparait clair que les actions entreprises par des groupes réactionnaires, utilisant et modelant des paniques morales dont la vacuité est aussi impressionnante que leur écho est grand grâce à des réflexes médiatiques moutonniers regrettables, sont à l’origine de cette nouvelle polémique lancée sur les réseaux sociaux.

L’Académie française, cénacle bien peu paritaire, et peu soucieux de terminer la rédaction de la dernière édition de son dictionnaire… ne régente heureusement pas notre langue ou ses usages pas plus que le ministre ou la conjointe du président de la République. Rappelons que pendant longtemps, l’Académie exprimait son opposition à la féminisation de certains postes et s’opposait à l’utilisation de « LA ministre » ou « LA Maire » par exemple.

Le ministre de l’Éducation nationale préfère parler lexicographie que travailler

Aussi, ce n’est pas à Jean-​Michel Blanquer ni au ministère de l’Éducation nationale ou à aucun autre, de déterminer, tout ou partie de la langue française. Ses déclarations et sa promptitude à réagir à cette polémique sont bien plus « efficace » que lorsque de jeunes LGBTI sont harcelés, humiliés et mégenrés dans les écoles, collèges et lycées et lorsque les rectorats négligent d’agir correctement sur ces questions.

Ces situations menant à des dépressions et des suicides, médiatisés ces derniers temps, ne sont ni accessoires ni à minimiser, et mériteraient toute l’attention d’un responsable politique réellement soucieux de son portefeuille (plutôt que de pousser, soutenir ou permettre sans y redire que des magazines réactionnaires publient des mensonges éhontés sur l’école publique et contribuent à la propagation des discours de haine).

L’école publique a besoin d’un ministre, pas d’un porte-​parole des réactionnaires

Faut-​il en déduire que la circulaire de ce ministère début octobre 2021 prétendant agir pour « une meilleure prise en compte (…) de l’identité de genre en milieu scolaire » et inclure pleinement les jeunes dans l’éducation ne prend finalement pas en compte les intersexes et les non-​binaires ? Où et comment sont appliqués les mots « écouter, accompagner et protéger » revendiqués par le texte ?

Devant cette polémique inutile, il n’aura échappé à personne que le ministre Blanquer ne semble pas choqué :

  • de voir des élèves ne mangeant pas à leur faim,
  • que des élèves mineurs LGBTI se soient récemment suicidés à la suite du mépris et du déni dans des lycées,
  • de voir tant de classes sans professeurs remplacés,
  • de voir Parcoursup planter et laisser des jeunes sur le carreau,
  • de voir les professeurs mal payés,
  • aussi ministre des Sports, Blanquer ne réagit jamais avec force quand le sexisme et l’homophobie y sévissent,
  • on attend encore des reproches et surtout des sanctions contre le professeur de droit de La Sorbonne faisant des cours avec des clichés et propos homophobes.

Il est consternant, en 2021, que 3 lettres, évolution mineure et bien faible, et non une révolution (bien des langues vivantes ou mortes, latin et grec, mais aussi allemand ont déjà un genre neutre) affolent un ministre important. L’important n’est plus que de chercher à faire vivre une polémique sans intérêt dans des optiques de stratégies politiques, afin de donner des gages à l’extrême droite.