Voici la tribune de Denis Quinqueton, président d’HES, publiée par Le Monde le 14 février 2013 en réponse à une tribune parue quelques jours plus tôt et mettant en cause HES en raison de sa réflexion et de sa revendication d’un encadrement de la GPA.

En effet, “le groupe Homosexualité et Socialisme” (sic) est favorable à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes et à l’encadrement de la gestation pour autrui. Sylviane Agacinski nous décrit donc comme des loueurs de corps, pire, des acheteurs d’enfants affairés à immoler la différence des sexes sur l’autel de la pluriparentalité. A ce train, le quasi-​centenaire homme-​au-​couteau-​entre-​les-​dents (né sur une affiche du “bloc national” pour les élections législatives de 1919) ne va pas tarder à faire figure de premier communiant.

Pourtant, si l’on s’intéresse à l’arbre généalogique du mouvement LGBT, on trouvera très facilement l’éthique d’un engagement, le nôtre – un grand nous collectif –, reposant sur une méthode, une ambition, une exigence.

Comme il ne s’agissait pas de rédiger une lettre au père Noël mais de penser à la vie humaine, il a fallu trouver une méthode de réflexion quand les premières associations comme HES – nées dans les années 1980, au siècle dernier, et toujours vivantes – ont commencé à travailler sur la situation des couples homosexuels et sur l’homoparentalité. Ces femmes et ces hommes, dont les projets de vie ne cadraient pas avec la “norme sociale” du moment ni avec la norme légale qui en découlait, ont mis en jeu leurs expériences.

Ces sujets les touchant intimement ont été discutés avec d’autres, confrontés à d’autres parcours, ici ou ailleurs, éclairés avec des lectures. Nous avons aussi écouté des experts, sociologues, juristes, philosophes, psychologues. Les débats internes, sur des sujets si complexes, ont souvent pris des allures d’université populaire. Et enfin, seulement enfin, nous avons tiré de cet ensemble composite des propositions et des arguments aujourd’hui diffusés à défaut d’être parfaitement entendus.

L’ambition forgée au long de ce parcours est de promouvoir ce que la sociologue Martine Gross appelle une filiation “fondée sur la responsabilité et sur l’engagement”. Au XXe siècle, les progrès des sciences et des consciences ont transformé la manière dont on devient père ou mère. On accède à la parentalité parce qu’on le veut et parce que le couple que l’on forme en a la capacité biologique… ou pas. On se tourne alors vers l’adoption ou la PMA, ceci à condition de laisser l’état-​civil à sa fiction biologique. C’est là que l’on voit que nos contempteurs nous reprochent leurs propres turpitudes.

Déchirer le voile pudique

Le mouvement LGBT, au contraire, propose de tirer les conséquences de cette évolution profonde et de remettre de l’ordre – juste ! –, des règles, du droit, de la protection du plus faible, mais aussi des limites. Ainsi, dans la contribution d’HES aux Etats généraux de la bioéthique de 2009 défendant un “nouveau projet parental, basé sur l’engagement” et intitulée “vers une reconnaissance des personnes en plus ?” nous écrivions : “nous savons aussi que la filiation prend ses forces et sa justification dans le temps d’éducation et d’amour donné à un enfant ; un temps d’effort qui donne la priorité aux parents d’intention ou adoptifs sur les donneurs d’engendrement sans en gommer pour autant l’existence”.

L’exigence de notre engagement a été et demeure le dessillement qui consiste à déchirer le voile pudique que certain-​e‑s jettent sur des réalités de la vie humaine pour continuer à raisonner en rond. Le dessillement permet de comprendre que nous réformons une législation nationale s’appliquant à des pratiques aujourd’hui souvent internationales.

Il permet de saisir que la gestation pour autrui mercantile se développe dans le monde parce qu’on se refuse à lui opposer un autre modèle, démarchandisé, fondé sur le consentement au don et le dédommagement. Il permet de mesurer que le don de gamète dans le cadre de PMA suit le même chemin. Comme souvent, ce sont les porteurs de mauvaises nouvelles que l’on accable. Et c’est probablement ce dessillement que Mme Agacinski et quelques autres nous reprochent. En posant la réalité sur la table, nous les empêchons de ronronner, nous contrarions leur inopérante morale hydroponique.

Car, ne rien envisager d’autre qu’un déni en forme de capitulation face à la réalité, comme le fait Mme Agacinski, c’est tout de même poser un sacré éteignoir sur la lumière que l’on fait profession de brandir. Et comme on ne milite pas pour capituler, nous continuerons, à HES et ailleurs, à débattre, à réfléchir et à proposer à partir de la passionnante réalité de la vie humaine pour inventer des réponses éthiques et républicaines. L’ouverture du mariage et de l’adoption, qui vient d’être votée en première lecture par l’Assemblée nationale, la réforme de la parentalité et l’ouverture de la PMA marqueront une belle étape dans ce chemin.