Voici la tribune publiée par Le Monde le 15 février 2011 et signée par Gilles Bon-​Maury, Dominique Boren et Marie-​Claude Picardat, Emilie Bouré, Anne Cadoret, Laure Camborieux, Geneviève Delaisi de Parseval…

Les cadres traditionnels de la famille ont été profondément bouleversés par les évolutions de la société telles que l’accès à la contraception, le divorce par consentement mutuel, l’adoption internationale et les progrès de la science. Parenté, procréation et sexualité ne se confondent plus. Les parents ne sont pas toujours ceux qui ont procréé. Si notre droit promeut encore les vieux adages “un père, une mère, pas un de plus, pas un de moins” et “la mère est celle qui a accouché de l’enfant”, pour faire coïncider autant que faire se peut filiation et procréation, aujourd’hui, de nombreuses familles s’en éloignent. Qu’elles soient monoparentales ou recomposées, hétéroparentales ou homoparentales, qu’elles dépendent ou non de donneurs de gamètes ou de femmes prêtes à porter l’enfant d’autrui, toutes ces familles ne répondent pas aux définitions légales.

Pendant les années de débat qui ont précédé la discussion du projet de loi de bioéthique à l’Assemblée nationale, les associations se sont exprimées. Elles ont fait valoir l’attente de ces familles. Leurs témoignages ont mis en évidence les obstacles que la loi de bioéthique dresse sur leurs parcours.

Aujourd’hui, les femmes célibataires et les couples lesbiens sont encore obligés de se rendre à l’étranger, par exemple en Belgique ou en Espagne, pour bénéficier d’une procréation assistée. Seules les femmes vivant avec un homme infertile ou porteur d’une maladie génétique peuvent bénéficier, en France, d’un don de gamètes. L’ouverture de la procréation assistée ne devrait plus se fonder sur le constat d’une infertilité médicale, mais sur celui d’un projet familial, à travers lequel les parents font acte d’engagement. Il est temps d’autoriser la procréation assistée avec don à toute femme s’engageant dans un projet parental.

Aujourd’hui, les parents qui ne peuvent pas porter leur enfant sont encore obligés de se diriger vers d’autres pays pour bénéficier de l’aide d’une femme prête à le porter. Seules les femmes qui accouchent de leur enfant peuvent faire valoir en France leurs droits de mères. Voilà pourtant trente ans que les techniques médicales permettent aux femmes de porter l’enfant d’une autre famille. Pour lutter contre les dérives et pour protéger le principe qui énonce que la mère est celle qui accouche, le juge puis le législateur ont préféré la prohibition à l’encadrement. C’est ainsi que toute gestation pour autrui (GPA) est interdite en France depuis 1991. Nous n’avons aucune raison de croire que notre droit serait moins capable d’encadrer une gestation pour autrui qu’il est capable de l’interdire aujourd’hui. Les propositions d’encadrement sont nombreuses et documentées. Aujourd’hui, notre droit considère qu’une femme qui accouche n’a pas besoin de déclarer sa volonté d’être mère, que l’accouchement fait d’elle une mère. Il est temps de reconnaître aux femmes le droit de mettre au monde l’enfant d’une autre famille.

Les progrès de la science et les acquis des combats féministes ont abouti à la maîtrise de la procréation. Dès lors, le projet familial résulte bel et bien d’une volonté. Ce projet familial engage les parents de manière irrévocable. C’est cette intention de faire famille, cet engagement parental, qui doit constituer le fondement du droit de la famille. Le parent est celui qui exprime une volonté de l’être, et qui s’engage de manière irrévocable à subvenir aux besoins matériels, affectifs et éducatifs d’un enfant.

Un rendez-​vous manqué

Aujourd’hui, les enfants nés d’un don de gamètes sont encore confrontés à des gardiens qui les privent de leurs secrets pour mieux faire passer leurs parents pour leurs géniteurs. Parfois, ces enfants veulent savoir qui a permis leur venue au monde. En refusant aux enfants nés du don l’accès à cette information, notre société mythifie le lien génétique. Le résultat obtenu est l’inverse de celui que vise la règle de l’anonymat : cacher aux enfants l’identité de ceux qui ont contribué à leur donner la vie, c’est leur accorder une importance qu’ils n’ont pas. C’est considérer que leur existence menacerait les statuts parentaux. Or les liens génétiques ne déterminent pas les liens de parenté. La règle de l’anonymat du don de gamètes a pour fondement la protection des liens de filiation établis entre l’enfant né d’un don et ses parents. Cette règle ne s’impose pas si les liens de filiation entre l’enfant et ses parents ne sont plus confondus avec les liens procréatifs mais fondés sur un engagement parental. La connaissance des liens procréatifs entre l’enfant et ses géniteurs ne menace en rien les liens parentaux. Il est temps de répondre aux demandes de ceux qui souhaitent connaître les conditions de leur conception.

Aujourd’hui, le droit prive certains enfants, notamment les enfants des familles homoparentales et ceux nés du recours à une GPA, de tous leurs parents au motif que leur reconnaître un statut parental menacerait notre ordre social.

Selon toute vraisemblance, aucune de ces demandes exprimées mille fois pendant les débats préparatoires ne trouvera de réponse au cours de la discussion parlementaire. La révision de la loi de bioéthique aurait dû être l’occasion de proposer une réforme du droit de la famille, faisant primer l’engagement parental sur les liens procréatifs. Tout porte à croire que ce rendez-​vous sera manqué.

 


 

Signataires :

Gilles Bon-​Maury, président d’Homosexualités et socialisme (HES) ; Dominique Boren et Marie-​Claude Picardat, co-​présidents de l’Association des parents gays et lesbiens (APGL) ; Emilie Bouré, présidente des Enfants d’Arc-​en-​ciel ; Anne Cadoret, anthropologue ; Laure Camborieux, présidente de MAIA ; Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste ; Martine Gross, sociologue ; Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste ; Arthur Kermalvezen, porte-​parole de Procréation médicalement anonyme ; Hervé Lancelin et Alexandre Urwicz, co-​présidents de l’Association des familles homoparentales (ADFH) ; Sylvie et Dominique Mennesson, co-​présidents de C.L.A.R.A. ; Irène Théry, sociologue.