Deux rapports publiés pour ce 17 mai 2023 documentent la haine, les discriminations et les violences envers les personnes LGBTI+ dans les sphères privée et publique. Le 26e rapport annuel des LGBTIphobies produit par l’association SOS Homophobie et le 3e rapport annuel de la Fondation Jean-Jaurès sur la haine anti-LGBTI+ en France, issue des données récoltées par l’application de signalement de FLAG !. Discours de haine désinhibés et violences transphobes sont les points saillants de ces éditions.
La parole LGBTIphobe se déploie. Elle l’est à la fois par l’action de multiples groupuscules haineux, par la faute de médias complaisants qui confient du temps d’antenne à des discours LGBTIphobes et même jusqu’au plus haut sommet de l’État, lorsque des activistes antiégalité sont reçus. Deux rapports donnent l’alerte sur la banalisation à l’œuvre de ces expressions, tandis que les violences persistent, voire s’aggravent, particulièrement à l’égard des personnes transgenres dans les témoignages recueillis l’année passée.
Dans son rapport, SOS Homophobie s’appuie sur 1506 témoignages reçus de LGBTIphobies en 2022. Ces témoignages permettent de dresser un tableau dessinant les caractéristiques des victimes, une catégorisation des cas en fonction de la nature des violences et de leur contexte, et alimentent un chapitre sur les discriminations croisées. Le rapport de la Fondation Jean-Jaurès (FJJ) s’appuie sur les 1783 signalements réalisés sur l’application de l’association Flag !
SOS Homophobie a recensé 184 cas de signalements d’agressions physiques dans l’année précédente et 9 % des signalements (3432 faits signalés) réalisés sur l’application de Flag ! portent sur la violence physique.
Les signalements et témoignages, qu’ils soient en hausse ou en baisse selon chacune des typologies de faits signalés, doivent être contextualisés dans une société où, c’est à souligner, la parole se libère chaque jour un peu plus. Pour des faits classiques de violences, de menaces, de mauvais traitements ou d’atteintes à l’honneur des personnes, mais il faut souligner clairement que la hausse des signalements de faits transphobes témoigne directement de l’ambiance générale transphobe, dans les médias, les discussions politiques et leur infusion dans les réseaux sociaux dans la « discussion générale ».
Une vague transphobe notable en 2022
L’intérêt des rapports 2023 est alors de venir objectiver froidement, ce que dénoncent les personnes trans et les assos depuis de nombreux mois : la tragique libération de la parole transphobe et son étai par des personnalités publiques et des médias. La reprise de clichés, de stéréotypes dangereux ; la diffusion de discours mensongers sur les personnes trans, « l’épidémie trans » ou même les délires autour des spectacles de drag queens ou kings, dénoncé par la droite et attaqués par l’extrême droite, sont l’aboutissement d’une panique morale sciemment installée. On peut la faire remonter à la bataille contre les ABCD de l’égalité…
Ainsi, SOS Homophobie note :
« Le nombre de cas de transphobie a augmenté de 35 % par rapport à 2020, 27 % par rapport à 2021. De plus, la proportion de personnes trans et non binaires contactant l’association est en augmentation.
Depuis 2020, un véritable pic de violences à l’égard des personnes trans se dessine, avec un nombre de cas de transphobie en constante augmentation. En 2022, ce contexte reste ainsi le deuxième plus représenté dans nos témoignages. La majorité des victimes sont des femmes trans. »
C’est également dans le rapport de la FJJ que l’on peut trouver un focus thématique précis sur la transphobie dans les signalements effectués. Il y est noté la surreprésentation, en pourcentage, de violences contre la population trans alors que celle-ci constitue de 20 à 60 000 personnes en France.
Avec 12 % des victimes de faits signalés, mis en rapport avec la population française d’environ 70 millions de personnes, c’est un nombre significativement alarmant de personnes trans qui est victime de violences, de divers ordres. Le rapport pointera aussi que, parmi tous les autres signalements, c’est plus de la moitié qui contiennent des éléments de transphobie. Marquant en cela l’écrasante présence de ces marqueurs dans les actes et discours de haine qui ont été signalés.
La banalisation des discours de haine
Il est frappant de constater que les deux rapports appuient la violence déployée dans les discours publics en 2022.
Le rapport de la Fondation Jean-Jaurès dénonce une « déconcertante obsession de la part des opposant·e·s à nos droits et autres agresseurs » ou encore que, notant les évolutions positives de la société française sur le regard porté sur « l’homosexualité » : “Sur fond de cette évolution positive, nous faisons face à une désinhibition de la haine anti-LGBTI+, tant en paroles qu’en actes”
Et dans celui de SOS Homophobie, dès l’édito il est signifié que les discours de haine sont diffusés, parfois consciemment sur des antennes dont l’enjeu de monétisation est évident : “certains consciemment hostiles, poussant les transidentités à être sujettes à débat”.
La haine en ligne continue d’être le vecteur des LGBTIphobies signalées à SOS Homophobie cette année encore, illustrant à la fois le sentiment d’impunité qui demeure fort, et l’incapacité des réseaux sociaux à modérer correctement ces paroles. Ils continuent d’être les chambres d’échos puissantes à des mots et discours pourtant punis par la loi.
À ce titre, c’est l’utilisation de discours avancés comme scientifiques, mais en réalité intégralement mensongers et dépourvus d’aucun fondement scientifique qui permet à une rhétorique haineuse, là encore fortement à l’encontre des personnes trans, de se déployer. Les campagnes “antigenre”, largement importées des États-Unis après leur construction et leur financement par la droite religieuse se sont implantés en France et nourrissent les violences physiques que rencontrent les personnes LGBTI.
Accueil des victimes et réception des plaintes : un travail à continuer
Enfin, sans venir conclure abruptement une lecture de ces deux rapports qui doivent nourrir l’action politique et les choix des législateurs et de l’exécutif afin de réaliser un travail, concret cette fois-ci, contre les discriminations, il est frappant de constater que parmi les lieux ou les auteurs des faits LGBTIphobes signalés, la présence de fonctionnaires et d’agents de l’État ou des collectivités, à travers différents milieux est bien ancré.
Dans l’éducation, la santé, les administrations ou la justice/police, ce sont de trop nombreux signalements encore qui démontrent la nécessité de formations – et de sanctions – contre des professionnels qui n’ont pas un comportement acceptable ou un discours correct. Il s’agit notamment de ceux ou celles, dans les commissariats ou les gendarmeries qui accueillent des victimes de violences, les enseignants ou membres d’une équipe éducative qui font face à de jeunes élèves en collège ou au lycée (voire en élémentaire !) ou le corps médical qui reçoit des victimes ou des patients, parfois en situation de vulnérabilité…
Il ne peut être acceptable, en 2023, d’avoir encore des personnes victimes de violences, souhaitant pouvoir échanger avec un professionnel sur leur situation, tentant de se confier à un adulte dans leur établissement scolaire (ou simplement devant lui répondre), qui préfère ne rien dire ou faire, qui préfère continuer de courber la tête par peur ou connaissance de la réaction, inadaptée au mieux, qui sera celle de leur interlocuteur.
Les agents des forces de l’ordre, les fonctionnaires du milieu éducatif ou de la santé ne peuvent plus être des interlocuteurs dont on a peur, dont on se méfie ou dont on craint les réactions. Au-delà de faire valoir ses droits correctement, c’est de la vie de personnes, de mineur·es parfois, dont il est question, et de leur état de santé tant physique que psychique.
Avoir droit à un médecin qui vous soigne sans violence, pouvoir recevoir un enseignement sans mépris, et savoir que l’on va pouvoir être protégé, y compris sans crainte d’être humilié·e demeure une expérience inconnue pour encore trop de personnes LGBTI et notamment trans.
L’action de l’État est indispensable pour modifier profondément cet état des lieux indigne de la France et d’une République qui sert de mantra à trop de responsables sans la caractériser pertinemment.