Vendredi 28 octobre, le gouvernement a annoncé la nomination de Jean-Marc Berthon au poste d’ambassadeur pour les droits pour les LGBTI, une annonce qui n’est cadrée ni sur les périmètres ni sur les missions.
Un parcours qui interroge sur la capacité à appréhender le sujet
Il a été conseiller d’Emmanuel Macron en charge des droits humains, directeur de cabinet au sein de l’organisation internationale de la francophonie, puis également membre du cabinet de M. Schiappa.
Dans le communiqué du gouvernement, nous pouvons apprendre qu’« il aura pour mission de porter la voix et l’action de la France en la matière, avec le soutien de l’ensemble du réseau diplomatique français » et « Il réitèrera l’engagement de la France en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la défense des droits des personnes LGBT+, et apportera tout son soutien aux organisations de la société civile qui œuvrent souvent dans des conditions difficiles »
Formellement, aucune structure travaillant sur les droits LGBTI ne le connait et reconnaît comme militant ni même comme expert des questions LGBTI+. L’ambition première du gouvernement de nommer un acteur indépendant et délié du sérail politique macroniste est déjà un renoncement.
Croire qu’un diplomate pourrait être indépendant, même nommé depuis des sphères associatives non inféodées aux directives de LREM était pourtant déjà un leurre.
Si le souhait de coordonner l’action du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour la protection contre les discriminations et la promotion des droits LGBTI, y compris par la nomination d’un ambassadeur, est une démarche intéressante, la décision qui a été prise relève de l’imposture, tant dans le manque de clarté sur le périmètre que sur les conditions de cette annonce.
Conditions de sa nomination
Pour rappel, le 4 août dernier, à la suite des déclarations odieuses de la ministre Caroline Cayeux sur « ces gens ‑là », la Première ministre organise une visite au GAGL 45, le centre LGBT+ d’Orléans. Destinée à faire oublier et tenter d’excuser ces propos indignes de la ministre, Élisabeth Borne avait dévoilé les contours de l’agenda d’Emmanuel Macron sur les questions LGBT+ lors de son second quinquennat. Alors que le programme du candidat-président était silencieux sur ces sujets.
Lâchement, le gouvernement préfère déléguer plutôt que de s’emparer du sujet et assurer une réelle égalité que ça soit au travers du silence autour des LGBTIphobies, de la chute de la France dans le classement international des droits LGBTI+ de l’ILGA ou encore de la nomination de ministres homophobes dénoncée par les associations.
Il n’y a que sous la gauche que nous avons vu un président de la République, François Hollande, aller en personne défendre les LGBTI+ à la tribune de l’Onu. Il est temps que le président Macron s’implique véritablement et affirme son soutien aussi ouvertement que certain·e·s membres de son gouvernement affichent leur mépris pour les LGBTI, car le leurre de la nomination d’un ambassadeur aux fonctions et périmètre abstraits ne suffit pas à faire oublier les erreurs et inactions.
Crédibilité du gouvernement et de l’ambassadeur
Ces annonces sont arrivées tardivement et dans une tentative que nul n’a vu autrement que comme une volonté de faire stopper les critiques justifiées sur le gouvernement et cette ministre. La crédibilité de l’ambassadeur est plus que questionnable pour un exécutif qui est à ce point en retard sur les questions LGBTI.
Le même exécutif aux discours progressistes affichés, mais qui mène des politiques antinomiques (PVVIH renvoyés dans les pays sans accès aux soins, la notion de pays sûr qui reste encore dans les analyses des structures d’asile françaises pour gérer les demandes) et qui portent atteinte aux droits LGBTI+, à fortiori ceux des personnes d’origine étrangère.
De plus, hélas, le parcours personnel de l’ambassadeur, à travers différents cabinets de droite sur des sujets divers, n’est en rien une assurance de sa connaissance des sujets LGBTI. Ou encore de son travail de fond sur les dossiers que les associations portent depuis des années et sur lequel le gouvernement doit, au plus vite, infléchir ses positions.
Le choix de faire valoir le travail sur la lutte contre les thérapies de conversion comme une preuve de l’utilité de la nomination ne dupe personne, tant ce gouvernement s’est vu contraint et forcé à travailler sur le sujet, après des revirements dans tous les sens et des déclarations hasardeuses.
Périmètre et missions & travail
Sur le poste créé, on ne peut que se demander quels seront les liens avec les associations travaillant sur les questions internationales afin de mettre à profit leur analyse et leur expérience.
La question des relations avec les structures et leur feuille de route est importante. Y aura-t-il des consultations qui seront faites avec les associations françaises et internationales et les travaux éventuellement réalisés par le ministère leurs seront-elles accessibles ?
Sans périmètre ni budget défini par sa mission, quelles peuvent être ses réalisations et ses actions, outre les idées vagues présentes dans le communiqué annonçant la nomination ?
Le risque de division du sujet, d’abord nationalement avec la Dilcrah et son travail avec les associations qui peuvent agir aussi sur des périmètres qui pourront être ceux de l’ambassadeur, le cadre du Défenseur des droits sur les droits des réfugié·e·s LGBTI… Puis à l’international entre les organisations gouvernementales et les ONG qui peuvent travailler sur ces sujets, où se situera la position de la France et de son ambassadeur ? Est-ce qu’un travail est déjà prévu en lien avec les personnes et structures identiques des pays de l’Union européenne ?
La difficulté des positions que peut prendre l’ambassadeur est une évidence pour quiconque sait comment travaillent les réseaux de diplomatie. Quel sera enfin son poids auprès du réseau des ambassadeurs de la France dans le monde ? Va-t-il les former, peser sur leurs actions locales en faveur des LGBTI+, travailler à bâtir des relations avec les associations locales, proposer des coordinations avec les acteurs culturels et économiques diplomatiques ? Rien de tout cela n’est indiqué et l’habitude du vague que les gouvernements de Macron ont, mènent le plus souvent, si ce n’est tout le temps à une indication politique.
Les LGBTI+ jugeront aux actes et sur les résultats
Pour la France, quant à sa place à l’international, des mesures très objectives permettront de voir ce que sont les réalisations de l’ambassadeur. La France doit retourner enfin dans le top 5 du classement annuel de l’ILGA-Europe, et y rester durablement. À défaut, comment prétendre donner le « bon exemple » à d’autres ?
Les actions de notre pays seront aussi mesurées par les associations qui ont à travailler sur des angles morts de l’action internationale française ou sur les refus d’agir de nos gouvernants, en dépit de grandes déclarations. Afghanistan, Iran, Turquie pour ne parler que de ceux-là, et y compris, au sein de l’UE sur la Hongrie, la Pologne et désormais les risques pour les LGBTI en Italie…
Tous les acteurs associatifs regarderont avec attention ce que sera l’action de la France vis-à-vis des pays d’Afrique et d’Asie et dans les atteintes aux droits que des régimes autoritaires ou faiblement démocratiques feront aux personnes LGBTI. Cela devra pourtant se faire en évitant à tout prix un rapport qui pourra être analysé comme le retour du pays colonisateur aux leçons condescendantes.
Les perspectives positives comme négatives
Car les risques de retour de bâton contre les LGBTI de la part de régimes autoritaires sont évidents. En dénonçant ce qui pourra être analysé facilement comme une stratégie revendiquée de la part de la France qui viendrait, comme pays occidental, et « vertueux » expliquer ce qui doit être fait. Les stratégies LGBTIphobes de groupes religieux ou politiques, dans différents endroits du monde, qui dénoncent un concept venu de l’Occident, afin de mieux rejeter les droits des personnes LGBTI et perpétuer les violences à leur encontre, sont connues.
Le travail de l’ambassadeur est déjà évident avec les perspectives d’accueil par la France et l’UE des réfugiés LGBTI venus d’Iran ou d’Afghanistan (ne serait-ce que ces 2 pays-là), ou l’organisation directe de l’aide qui doit leur être apportée. Quelles sont ensuite les possibilités de travail avec l’ambassadrice aux droits de l’Homme, déjà en place, afin d’articuler ces sujets, évidemment consubstantiels ?
Ensuite, la diplomatie via la culture, l’économie ou via les sports reste encore illisible sur les droits LGBTI. Et la tenue dans les prochaines semaines de la coupe du monde de foot au Qatar laisse craindre le pire. Est-ce que demain, profitant de l’organisation de la coupe du monde de rugby en France en 2023, ou des JO de Paris en 2024, notre pays saura faire la démonstration que les discours de son président et de son gouvernement ont enfin des applications concrètes, avec des perspectives réelles pour les droits des personnes LGBTI+ ?
Aucune de ces questions ne trouve de réponse avec les annonces du gouvernement. Il faut des précisions, et rapidement.