La France va exercer de janvier à fin juin 2022 la présidence tournante du Conseil de l’Union (Présidence française de l’UE – PFUE). Il s’agit d’un moment important pour pousser à l’agenda certaines thématiques et essayer de débloquer certains dossiers. Cette présidence sera inédite, car elle coïncide avec l’élection présidentielle en France. Il faut donc que les candidat·e·s se puissent également jouer de cet élément dans l’ensemble des débats. Le Président sortant en jouera, et la famille socialiste – proeuropéenne – ne peut pas lui laisser le champ médiatique libre sur ce sujet éminemment important et politique.

De nombreux dossiers/​sujets sont d’une importance capitale pour les questions LGBTI+ en Europe, et le ou la nouvel·le présidente de la République devra rapidement établir ses priorités dans ce domaine.

Le sujet du respect de l’état de droit, des valeurs, et des traités

Depuis plusieurs années, il s’installe en Europe de nombreux régimes autoritaires et conservateurs où les LGBTI+ et le « genre » sont pris pour cibles pour renforcer une base électorale conservatrice et dévier l’opinion publique de problèmes structurels. Les cas les plus emblématiques sont la Hongrie, la Pologne et la Slovénie (en charge de la présidence du Conseil de l’Union au 2d semestre 2021). Les cas polonais et hongrois sont, pour le moment, bloqués au Conseil, avec les auditions sur l’article 7.1 mis en pause durant la pandémie, et le peu d’appétit du Conseil d’aller de l’avant pour passer à des recommandations contraignantes, ou bien encore avancer dans cette procédure et suspendre le droit de vote de ces deux pays.

La décision récente du tribunal constitutionnel illégitime polonais (reconnu comme tel par la CJUE et la Cour européenne des droits de l’Homme) de remettre en cause la primauté du droit de l’Union ouvre la voie à un Polexit, qui serait négatif pour l’Union.

Devenir et demeurer un pays membre de l’UE se fonde sur des valeurs communes et des textes qui s’appliquent partout notamment via des traités et directives. La « conditionnalité » d’être un véritable État de droit, comme une démocratie réelle (avec des médias libres par exemple), l’absence de peine de mort, une justice indépendante, le respect des droits humains sont ainsi des socles légaux que la Commission européenne doit en quelque sorte surveiller. Être hors de cette conditionnalité suffit pour suspendre ou annuler le versement de certains fonds européens. Il est normal que de telles sanctions – qui sont prévues dans nos textes communs – soient enclenchées à l’encontre de pays déjà avertis publiquement de leurs « décrochages », comme la Pologne et la Hongrie sur les sujets LGBTI+ notamment.

HES propose :

  • La suspension immédiate des avantages et des bénéfices offerts par certains traités et fonds
    européens aux pays membres menant et aggravant des mesures anti-​LGBTI (parmi d’autres attaques contre les droits humains et l’état de droit).

QUELQUES DOSSIERS PHARES

Durant la PFUE et durant l’ensemble de son mandat, la présidence devra faire avancer d’autres dossiers européens, en particulier :

  • Création d’une formation au Conseil égalité de genre et Égalité.
    • Il s’agit d’une demande du Parti socialiste européen et du groupe des Socialistes et démocrates pour que les questions de discriminations et d’égalité ne soient pas noyées dans d’autres configurations (actuellement affaires sociales le plus souvent) qui les relayent bien trop souvent au plan secondaire. 
  • Débloquer la directive horizontale antidiscrimination.
    • Depuis plus de 10 ans, ce texte couvrant de nombreuses discriminations (handicap, âge, orientation sexuelle, sexe, religion) est bloqué par les États membres. 
    • Il est temps de la mettre à jour (identité de genre et caractéristiques sexuelles étant absentes) et de l’adopter pour offrir un minimum de protection au niveau européen, et démontrer qu’une Europe sociale est possible pour protéger les citoyens. 
  • Proposition de directive du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle.
  • Mise à jour des crimes européens pour couvrir les crimes et paroles de haine (« hate crimes/​speech ») 
    • Pour le moment la législation portant sur les crimes européens ne couvre pas les paroles et crimes de haine et les motifs d’orientation sexuelle, identité de genre et caractéristiques sexuelles. Une proposition est attendue en 2022. 
  • Reconnaissance de l’autorité parentale et des statuts relationnels au sein de l’Union
    • Deux propositions sont attendues pour 2022, pour permettre que l’autorité parentale des couples de même sexe obtenue dans un État membre soit reconnue dans l’ensemble de l’Union. Une autre proposition visera à ce que le statut matrimonial (Pacs, mariage) acquis légalement dans un pays de l’Union le soit sur l’ensemble de l’Union – cela n’impose pas le mariage des couples de même sexe au sein de l’Union, mais au moins la reconnaissance et l’égalité des droits pour ceux qui peuvent en bénéficier. 
    • Cela requiert l’unanimité au Conseil. 
  • Les violences liées au genre
    • L’Union doit continuer la ratification de la Convention d’Istanbul et pousser l’ensemble des États de l’Union à le faire, et la mettre en œuvre. Certaines dispositions de la Convention nécessitent l’accord du Conseil.
    • Il est également important d’avoir une législation européenne dédiée aux violences liées au genre, et notamment en ligne.  
  • Renforcer les instituts nationaux d’égalité/défenseur des droits  
    • En 2022, la Commission s’est engagée à proposer une nouvelle législation visant à renforcer l’indépendance et le rôle des instituts nationaux d’égalité/défenseur des droits. Il s’agit de structures essentielles pour faire entendre la voix des LGBTI+ et assurer leur défense au niveau national/​européen.
  • Les questions de logement et de précarité des LGBTI+ 
    • Les personnes LGBTI+, et notamment les jeunes en particulier, sont confrontées de manière disproportionnée à la précarité financière et locative. En juin 2021, la déclaration de Porto, sous présidence PSE portugaise, une déclaration importante a établi une plateforme européenne de lutte contre la situation des sans-​abris. La France doit s’engager à que cette déclaration ne reste pas lettre morte et soit mise en œuvre au plus vite, avec des moyens financiers pour y parvenir. 
  • Soutien à l’Agence européenne des droits fondamentaux (Fundamental Rights Agency – FRA)  
    • La FRA est une agence qui a produit de nombreuses recherches sur les questions de discrimination, et notamment les questions LGBTI+. Son nouveau mandat, toujours bloqué au Conseil, doit lui permettre de travailler plus efficacement. Il est également important que cette Agence dispose de fonds nécessaires pour effectuer ses missions et également travailler avec les autres agences européennes sur ses prérogatives.

Pour la première fois, la Commission, sous l’impulsion de la commissaire maltaise PSE Helena Dalli, a adopté une stratégie LGBTI+ pour 2020 – 2025. La présidence de la République devra s’engager à soutenir cette stratégie au niveau européen et national, et la promouvoir au sein de la famille socialiste européenne. Cette promotion doit permettre de travailler réellement à une harmonisation des droits et de faire de la lutte pour le respect des droits fondamentaux, un des socles de l’agenda européen.

L’une des valeurs de la construction européenne est la garantie de la libre circulation des personnes et des biens. Si – l’expérience aidant – nous ne nous faisons pas de souci pour les biens qui ne rencontrent plus depuis longtemps d’obstacle, il n’en est pas de même pour les personnes.

Qu’adviendrait-il d’une famille composée de deux femmes mariées et mères de deux enfants, en France, si elle devait aller vivre, par choix ou nécessité, dans un pays ne reconnaissant ni le mariage des couples homosexuels ni leur capacité à être parents ?

En septembre 2021, les députés européens ont voté majoritairement (387 pour, 161 contre et 123 abstentions) pour la reconnaissance des Pacs et mariages dans l’UE, pour que les actes conclus dans les pays membres soient automatiquement reconnus dans toute l’UE. Les eurodéputés français de droite (groupe PPE) se sont abstenus et ceux de l’extrême droite du RN ont tous voté contre.

HES propose :

  • Inscrire la question de la défense de l’état de droit comme une priorité pour la PFEU.
    • Organiser au sein du Conseil affaires générales des auditions précises sur les procédures Article 7.1 et passer à un vote rapidement pour des recommandations contraignantes (majorité des 4/​5).
  • Pousser pour que les thématiques couvertes par ces procédures couvrent également les droits fondamentaux et la démocratie (cas pour la Hongrie où le Parlement européen a enclenché la procédure Art 7.1, mais pour la Pologne où la Commission a enclenché le processus, mais reste limité à la sphère de l’indépendance judiciaire).
  • Une pression doit s’exercer sur la Commission pour que ses rapports annuels sur l’État de droit couvrent les aspects des droits fondamentaux (et LGBTI+ en particulier) et de démocratie de manière systématique, et soient accompagnés de recommandations contraignantes (comme promis par la Présidente de la Commission pour les éditions de 2022).
  • S’opposer au Conseil à ce que les fonds du plan de relance européen soient attribués, même partiellement à la Pologne ou la Hongrie, tant que ces deux États ne respectent pas pleinement l’ensemble des jugements
    de la Cour de Justice de l’Union européenne, la primauté du droit de l’Union, et n’auront pas réformé leur système judiciaire (surtout en Pologne, mais pas exclusivement) et auront en place un système efficace de lutte contre la corruption (surtout pour la Hongrie). 
  • Mettre en œuvre au plus vite le règlement sur la conditionnalité des fonds européens (entré en vigueur au 1er janvier 2021) et ne pas attendre le jugement de la CJUE (procédure initiée par la Pologne et la Hongrie) pour lancer les procédures de manquement.
  • Il est essentiel de soutenir la société civile et les journalistes indépendants dans ces pays, notamment avec des fonds de soutien dédiés qui ne doivent pas forcément passer par le gouvernement central national.
  • Ne pas rejoindre les sirènes souverainistes et populistes de la campagne présentant l’Union comme la force obscure qui impose à la France des décisions difficiles, mais être pédagogique et expliquer les positions de la France au Conseil et respecter la primauté du droit de l’Union.
  • Faire en sorte que les rapports de la Commission sur l’état de droit évoquent les questions LGBTI+ (le premier rapport sur l’état de droit en parle très peu des LGBTI+ – seul dans le rapport pour la Pologne pour 2020, et les occurrences restent rares dans le rapport de 2021). Il faut que cela soit plus systématique.
  • L’inscription à l’agenda de l’Union de discussions entre les États pour aboutir à l’harmonisation des législations sur le droit des personnes au sein de l’UE afin de garantir la liberté de circulation de tous les citoyens et la possibilité de regroupement familial pour toutes les familles.
  • L’achèvement et la mise en œuvre réelle de la législation européenne de lutte contre les discriminations.
  • Le soutien à l’adoption d’une législation européenne globale en matière de lutte contre les discriminations couvrant tous les motifs de discrimination mentionnés dans les traités. La protection contre la discrimination fondée sur le sexe doit explicitement protéger toutes les personnes transgenres. 
  • L’extension de la législation européenne sur les crimes racistes aux crimes motivés par l’homophobie ou la transphobie. Les autorités de police et de justice doivent être formées à traiter ces cas conformément à la législation européenne sur les droits des victimes et aux recommandations du Conseil de l’Europe de traiter de manière similaire les actes racistes, sexistes, homophobes. 
  • La Cour des comptes européenne (CCE), basée à Luxembourg, doit lancer des vérifications et investigations, et produire un rapport officiel, pour déterminer si des fonds de l’UE (dans l’Union ou en dehors) sont ou ont été utilisés pour lutter contre l’égalité des droits des LGBTI.

Force diplomatique importante grâce à ses États membres, l’Union européenne doit cesser d’être une grande absente du jeu diplomatique.

27 États constituent la plus large force politique démocratique élaborée et doivent peser collectivement et dune même voix, dans les discussions sur ces sujets à tous les niveaux. Aussi bien au sein des institutions mondiales dans lesquelles lUE dispose dun siège, comme dans toutes les actions internationales – locales, ou sur dautres continents – dans lesquelles des fonds et des agent·es de lUE peuvent être engagé·es.

Afin dêtre un poids important dans la lutte contre les haines anti-​LGBTI+ dans le monde lUE doit aussi et avant tout être exemplaire sur ce sujet à lintérieur de ses frontières : la question des droits LGBTI+ déjà trop en souffrance au sein de certains États membres, et lUE doit résoudre ces questions prioritairement.

HES propose :  

  • La mise à l’agenda de l’Union européenne de la discussion pour la création d’un poste d’ambassadeur des droits de l’Homme à l’échelon européen afin d’accompagner la diplomatie européenne balbutiante. Et inscrire précisément la défense des droits et des personnes LGBTI+ dans son portefeuille.
  • À l’ONU comme dans d’autres instances où siègent de nombreux pays, les représentants de l’UE doivent surveiller, combattre et dénoncer publiquement les politiques anti-​LGBTI+ menées par des États.
  • Organiser une action diplomatique et culturelle des pays de l’Union pour une action en faveur des droits des LGBTI+ dans les pays où l’UE est présente. À ce titre, le budget dévolu à l’aide et au développement, et les missions de coopération décentralisées devront intégrer la dimension LGBTI+.