Daniel Defert est mort en ce mois de février. Compagnon de Michel Foucault, il fut le cofondateur de Aides pour répondre politiquement à la crise du VIH/Sida et interroger tous les sujets que cette épidémie a soulevés. Et cela fait 40 ans cette année que le VIH a été découvert.
Daniel Defert est mort à 85 ans. Le sociologue, philosophe, militant LGBT pionnier de la lutte contre le VIH/Sida a disparu peu de temps après le 40e anniversaire de la découverte du virus responsable du Sida.
Devant la crise inédite que le Sida crée, la réponse communautaire est celle qui a permis de diffuser de l’information, pour réaliser de l’entraide, pour se soutenir, pour aller au-devant du politique et faire bouger les choses.
La création de Aides en 1984 est tout cela à la fois.
Daniel Defert militant protéiforme de longue date
Engagé depuis de nombreuses années sur des thématiques diverses : Algérie, prisons, Daniel Defert continue son engagement militant après le décès de son compagnon, Michel Foucault, dû au Sida en juin 1984.
D’un groupe de soutien pour écouter la parole des malades, à l’association que nous connaissons aujourd’hui, comme plus grande structure européenne de lutte contre le VIH-Sida, la construction de Aides s’est fait dans le compagnonnage direct de l’éducation populaire, par les pairs, de la conscientisation d’une communauté et de son encapacitation. Pensé comme « un lieu de réflexion, de solidarité, de transformation » l’association sera le creuset des luttes contre le VIH/Sida, pour la démocratie en santé…
Dès 1985, c’est aussi Aides qui a créé la première ligne téléphonique d’écoute et d’information anonyme et gratuite qui deviendra ensuite « Sida Info Service ». Et évidemment, début 1994, Aides faisait partie des 4 associations antiSida qui ont lancé le Sidaction pour collecter des fonds via un long programme de télévision informatif, pédagogique, vecteur de prévention et apportant une visibilité inédite.
Contre les discriminations et les stigmatisations, contre l’oubli auquel le silence du débat public confinait les homos et les personnes contaminées par le VIH, Aides a été l’outil de la création d’une santé communautaire, populationnelle, qui entend défendre les droits de toutes et tous à l’information, à l’accès aux soins, et au libre choix sur son traitement.
Cet héritage est porté aujourd’hui encore et il a modifié les relations entre ministres, élus, médecins, hôpitaux, industrie pharmaceutique et les malades et patient·e·s.
N’oublions pas non plus que ce sont les injustices homophobes et drames quotidiens que causaient le Sida dans les années 1990 (compagnons veufs sans droit, refusés à l’hôpital, sans droit de visite, exclusion de l’enterrement, expulsés du logement commun après X années de vie commune) qui ont abouti à la création du Pacs (voté en 1998 – 99), que Aides soutenait aussi ardemment. Cette loi a permis la reconnaissance légale et des droits pour les couples homos.
40 ans depuis la découverte du VIH
Il y a 40 ans, était découvert le LAV, rétrovirus responsable notamment du Sida, c’était le premier nom du VIH. Cette découverte française, disputée par les États-Unis, sera récompensée du Nobel de médecine aux deux professeurs français de l’Institut Pasteur de Paris : Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi.
C’est au tout début de l’année 1983, que le prélèvement effectué sur un patient homosexuel par le spécialiste en infectiologie, Willy Rozenbaum, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, fera naitre les recherches sur un nouveau rétrovirus nommé en premier lieu, le LAV (Lymphadenopathy Associated Virus). Le 20 janvier 1983, à l’appui de ce prélèvement, des chercheurs français de l’Institut Pasteur de Paris, dont Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, sont parvenus pour la première fois à identifier et isoler le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à l’origine du syndrome d’immunodéficience acquise (Sida).
Au fur et à mesure du temps, il aura été prouvé que cette maladie attaque et amoindrit le système immunitaire humain et rend l’organisme très vulnérable à des infections opportunistes variées et possiblement mortelles (toxoplasmose, pneumocystose, cryptococcose, etc.).
Après 4 décennies de recherches, les scientifiques et chercheurs sont toujours penchés sur la recherche d’un vaccin contre ce virus. La recherche médicale a besoin de fonds et du soutien des pouvoirs publics. La pandémie de Covid aura fait la preuve que lorsque les volontés politiques sont là et s’alignent, les fonds publics pour la recherche médicale permettent de faire des progrès rapides et de découvrir des vaccins.
Contre le VIH-Sida, des outils, des approches que l’activisme a proposés et utilisés
Et dans l’attente, ce sont des protocoles médicaux qui ont été découverts, des traitements et de la prévention VIH qui sont disponibles en France et les pays riches, qui doivent l’être dans tous les pays, à des prix accessibles. La Prep et toutes les démarches de lutte contre les contaminations, avec les tests anonymes et rapides dans les centres, les autotests rapides, les prises de sang sans ordonnance dans les labos, et gratuites pour tout le monde, les traitements post-exposition (TPE)…
Tout cet arsenal de lutte contre le VIH-Sida est aujourd’hui une réalité en France, tant grâce aux chercheuses et chercheurs, qu’aux militants de la lutte contre le Sida qu’une partie de la classe politique, à gauche notamment, aura entendu et aux côtés desquels elle aura agi. Des minorités ignorées et méprisées, très touchées par cette épidémie mondiale, ont pu prendre en main leur santé et aussi enfin avoir la parole. Les gays, les trans, les travailleur·euse·s du sexe, les pays pauvres du Sud, les toxicomanes, les hémophiles transfusés…
C’est aussi le legs de Daniel Defert, et l’action continue de Aides. La diffusion de l’information autour du VIH/Sida, pour donner à chacun les armes permettant de se prémunir, d’aider à déstigmatiser et à lutter aussi contre la sérophobie. Cet héritage dans la réflexion de ce que signifie une épidémie sanitaire pour des communautés particulièrement touchées, dans ce que doit nous apprendre la réalité sociale et politique de sa prise en compte reste toujours d’actualité. Sur de nombreux sujets, et en premier sur la lutte contre le VIH/Sida, les enseignements de Daniel Defert et des militantismes associatifs sont des outils précieux. Chacun peut s’en emparer et s’en servir. Nous avons toujours à construire une société débarrassée des tabous et des préjugés, qui considère tout le monde : PVVIH, malades, et n’importe qui, comme des acteurs de plein droit, plutôt que des sujets.
Je ne retournerai pas mourir chez maman
À relire, notamment, la lettre de Daniel Defert qui « lance » la création de Aides, en septembre 1984.
« C’est la première mouture d’un projet d’association, qu’il s’agit d’amender mais je tiens aux grands axes. J’ai passé du temps activement à Londres auprès du Terrence Higgins Trust, lui-même inspiré par l’exemple de Gay Men’s Health Crisis des États-Unis. Je pars de leurs réalisations. Avant de les rencontrer je savais déjà que la question du SIDA ne pouvait pas être plus longtemps confinée comme question médicale.
Crise du comportement sexuel pour la communauté gaie, le SIDA prend de plein fouet majoritairement une population dont la culture s’est récemment édifiée autour de valeurs gymniques, de santé, jeunesse perpétuée. Nous avons à affronter et institutionnaliser notre rapport à la maladie, l’invalidité et la mort.
La communauté sera bientôt la population la plus informée des problèmes immunitaires, la plus alertée sur la sémiologie du SIDA et les médecins confinent encore leurs scrupules déontologiques à taire ou non la chose au malade. C’est dépassé et les gais n’ont pas pris la mesure des conséquences morales, sociales et légales pour eux.
La libération des pratiques sexuelles n’est pas l’alpha et l’oméga de notre identité. Il y a urgence à penser nos formes d’affection jusqu’à la mort, ce que les hétéros ont institutionnalisé depuis longtemps. Je ne retournerai pas mourir chez maman. Nous risquons de nous laisser voler une part essentielle de nos engagements affectifs. Dé familiarisons notre mort comme notre sexualité. Les mouvements gais n’offrent que des alternatives sexuelles : la masturbation comme nouvelle ressource de l’imagination.
Il y a d’autres intensifications affectives à promouvoir au sein de la culture gaie, je dis que c’est un problème culturel donc il y a des aspects psychologiques, matériels et légaux. Il faut les aborder de front. C’est mieux que la panique ou la moralisation. Face à une urgence médicale certaine et une crise morale qui est une crise d’identité, je propose un lieu de réflexion, de solidarité et de transformation, voulons-nous le créer ? »