Pour la date anniversaire de la dépénalisation de l’homosexualité en France, la Première ministre Élisabeth Borne a choisi d’effectuer un déplacement dans un Centre LGBT pour mettre à profit le 4 août avec un discours alibi destiné à faire oublier les nominations de ministres homophobes.
À quoi joue l’exécutif ?
Du président Macron, jusqu’au gouvernement et la majorité LREM/MoDem/Agir/Horizons, l’énervement est palpable depuis plusieurs semaines. Le Cayeux dans leur chaussure est devenu l’illustration flagrante du double discours homophobe dénoncé depuis tant d’années. Manquant de fond pour répondre et refusant de dénoncer les homophobes présents dans le gouvernement, la ligne de défense bâtie autour de l’ancienne maire de Beauvais ne tient pas.
Dans une démarche prétendant calmer « ces gens-là », le gouvernement a donc organisé la venue de la Première ministre dans un centre LGBT, le 4 août 1982, histoire de surfer sur les 40 ans de la « dépénalisation » de l’homosexualité en France.
1 déplacement, 2 ministres, 3 annonces
De la poudre arc-en-ciel selon Libération, voilà qui pourrait résumer le contenu des annonces faites par la première ministre ce jeudi 4 août. Énumérons-les proprement :
- Création d’un poste d’ambassadeur des droits LGBT
- 3 millions d’euros pour les centres LGBT en France
- Faire en sorte que chaque région de métropole ait 2 centres LGBT et chaque région d’outre-mer, 1
Mettons de côté de suite les critiques faciles sur l’argumentaire que HES va développer plus loin.
- Que l’exécutif (quel qu’il soit) souhaite voir plus de centres LGBT sur le territoire national est une bonne chose.
- Qu’il indique augmenter ou donner une enveloppe budgétaire en ce sens est une bonne chose.
- Qu’il annonce créer un poste d’ambassadeur aux droits de l’homme est une bonne chose. C’était d’ailleurs une des propositions que nous développions dans notre Manifest’HES 2022.
Toutefois, il existe une différence notable entre faire des annonces positives, les étayer concrètement, les faire aussi dans des circonstances bien moins négatives, et les faire en adéquation avec les demandes associatives.
Passer de la forme au fond et d’annonces creuses à une action politique opérationnelle
Le problème principal de ce déplacement et de ces annonces est, et c’est majeur, que ce n’est qu’un alibi, une communication de crise destinée à tenter de maintenir le couvercle sur une marmite qui a décidé de ne pas s’arrêter de bouillir.
La légitimité et la sincérité de ces annonces, des ces choix de ce gouvernement, des actions qu’entendent porter les ministres concernés qui sont « à leur poste et à la tache » (formule tristement reprise à l’envi, et démontrant malheureusement l’inverse) sont donc précisément nulles.
Qui va croire que, poussé par des dénonciations permanentes depuis un mois, poursuivi par les questions des journalistes et les demandes des militants, le gouvernement ne cherche pas à mettre un terme à ce champ de mines par un storytelling mal construit dans les arrières cuisines des cabinets ministériels ?
L’Inadéquation entre les actualités des sujets LGBTI et le discours de l’exécutif servi jeudi 4 août est aberrante. Que ce soit sur les LGBTIphobies – elles ont doublé en 5 ans, selon les propres chiffres de l’Intérieur -, la PMA au rabais dont les exécutions tant médicales que pour l’état civil sont défaillantes – articles de France Inter, enquête dans d’autres médias, ou alertes par des responsables associatives, l’état des lieux est tragique -, ou encore les sujets de santé publique comme la variole du singe et les critiques qui fusent par la gestion gouvernementale… pas un mot !
On ne peut donc que trouver légitime l’incompréhension et la colère associatives devant des propositions qui ne laissent connaître que des mesures vagues, et une sortie de chéquier en guise d’excuses.
La charité n’est pas une politique publique
Allons au fond et regardons les annonces en détail (spoiler : il n’y en a pas).
À quoi revient concrètement l’indication sur les 3 millions d’euros en plus ? Sortir un chéquier ne peut effacer en rien les choix – durables – de ministres hostiles aux personnes LGBTI+ et à leurs droits (depuis 2017, confirmé et presque aggravé en 2022), leur maintien, depuis tant de temps, est délibéré et assumé. Il faut que ce soit assumé jusqu’au bout, et que les associations et militants le soulignent est bien la moindre des choses.
Il y a d’abord évidemment une question de ratios et de choix budgétaires. L’Allemagne, avec son gouvernement de gauche, mobilise 70 millions d’euros par an pour les structures LGBTI. Quel est le budget annuel de la Dilcrah aujourd’hui, de ses lignes de crédit déblocables (de celles réellement débloquées ?) ? En cumulé, quels sont les budgets consacrés aux questions LGBTI dans les différents services ou ministères ? Pour la formation, la prévention, l’accompagnement…
On notera déjà que les subventions de l’État envers les associations LGBTI sont faibles si on les compare aux pays à notre niveau. Et on attend encore, ce qui parait évident pour de l’argent public, le détail par année des subventions versées. Les collectivités locales, elles, sont obligées de voter dans leurs assemblées de telles subventions, la transparence est de mise. Le GAGL 45, centre LGBT d’Orléans, rappelle que les montants des subventions publiques baissent chaque année et que les dossiers doivent se multiplier pour ne serait-ce que pour maintenir le niveau précédent des aides.
Revenons sur ces 3 millions. Sont-ils pérennes, sont-ils annualisés ? Est-ce un effort unique cette année ? Seront-ils dévolus uniquement à l’accompagnement des centres existants, ou à la seule création des nouveaux ? L’enveloppe sera-t-elle divisées en deux : moitié pour les nouveaux, moitié pour les « anciens » ?
Il existe 35 structures LGBT en France étant, ou pouvant prétendre au titre de, centres LGBT. Leur périmètre d’actions, leur assise locale, leur gouvernance et leur budget diffèrent fortement. Avec en plus la volonté d’en créer 10 supplémentaires, comment les 3 millions d’euros vont-ils être alloués ?
À ttitre d’information, ces 3 millions divisés par les 45 centres représentent 66000 euros par centre. Ridicule. Quelles dépenses pourront être incluses dans ces aides ? Le coût du local, l’entretien, les actions, les achats de fournitures, de matériel, les déplacements, les charges diverses et variées peuvent représenter bien plus que cette somme. Pour comparaison, en 2019, la partie « charges » du budget du Centre LGBTI de Paris-IDF s’élève à environ 250000 euros…
Ces financements seront-ils accessibles à des centres d’archives LGBTI ? Enfin, il est évident que l’État doit prévoir un financement pluriannuel (3 ans au moins) pour sécuriser lesdits centres, pour former leurs équipes, professionnaliser leur accueil, avec une amplitude d’ouverture et une palette d’activités les plus adaptées aux besoins des LGBTI et de leurs alliés et des visiteurs.
Le monde associatif, dans sa grande diversité en France, a été fortement fragilisé ces dernières, avec la crise du Covid, mais aussi avec des attaques de LREM contre les contrats aidés, très utiles aux ONG. Ainsi que par la baisse continue de dotations aux collectivités locales (notamment les métropoles) qui, par ricochet, voient leurs budgets tendus et leurs subventions aux associations, touchées.
À ce stade, il n’y a donc aucune garantie ou transparence sur la réalité de cette enveloppe ou sur ses critères de répartition. On peut s’interroger aussi sur la provenance des fonds. Quels ministères verront leurs financements réduits si ces 3 millions se concrétisent ?
Ce que l’État peut faire
Pour tout le territoire, simplifier et accélérer les demandes de ces subventions d’État, avec un guichet unique identifié. Il sera stable dans le temps, physique et en ligne, par département, qui permettra de solliciter des fonds de divers ministères concernés (Éducation, Santé, Culture, Sports). L’objectif en année pleine est aussi que ces fonds soient toujours entièrement versés dans le 1er semestre de l’année civile.
L’État doit aussi, notamment en cas de dialogue difficile avec les élus locaux et/ou bailleurs sociaux (les groupes CDC habitat et ICF notamment sont présents sur tout le territoire), aider à trouver un local approprié (taille, sécurisation, état général, empreinte carbone, localisation et desserte de transports) pour les Centres LGBTI+ quitte, s’il le faut, à ce que l’État achète les murs ou permette un achat par l’association grâce à un prêt garanti au travers d’un financeur para-public (la Caisse des Dépôts, la BPI). Le conventionnement avec le Centre permettra la sécurisation juridique et financière de sa situation.
Renforcer le financement direct des associations LGBT+ par les pouvoirs publics, en permettant en particulier le financement du fonctionnement. Que ce financement soit pérennisé par des conventions pluriannuelles afin de garantir, en particulier, la sécurité des emplois. Il faut que chaque ministère participe à ce financement sur son champ de compétences (santé, justice, sécurité, éducation) mais que les associations n’aient qu’un interlocuteur pour l’ensemble des financements relevant de l’État.
Les centres LGBT : à soutenir, mais en aucun cas des prestataires de l’État
La première ministre a indiqué qu’elle souhaitait que chaque région de métropole ait au moins 2 centres LGBT Et que l’outre-mer dispose d’un centre par région. Outre que nul ne songerait à trouver cela négatif (sauf certains de ses ministres et le camp classique des réactionnaires), il faut redire que ce sont déjà 35 structures qui existent dans l’hexagone. Les militants et les associations n’ont pas attendu le souhait de Mme Borne pour travailler, depuis de nombreuses remises années, à mailler notre territoire.
Le point positif des annonces de la Première ministre est vraiment là. La reconnaissance que les centres LGBTI sont une véritable épine dorsale pour le tissu associatif. C’est le lieu de rencontres des assos, de mutualisation, de discussion, l’interface avec tous les publics, le lieu sûr de rencontres des militants et une étape significative dans la maturité d’un écosystème associatif et politique travaillant ensemble.
Cependant, il existe de nombreuses grandes villes dans lesquelles leur absence est notable. Marseille en est un exemple frappant. Pour diverses raisons différentes selon les lieux, elles sont bien plus que 10 à ne pas avoir encore de centre LGBTI ouvert aux publics, par exemple : Le Havre, Brest, Saint-Étienne, Ajaccio, Bastia, Perpignan, Fort-de-France, Aix-en-Provence, Cayenne, Poitiers, Basse-Terre, Biarritz, Béziers, Toulon, La Rochelle, Saint-Denis de la Réunion, Pau, Limoges, Clermont-Ferrand…
Si le vœu de la Première ministre n’est pas pieux, quelles seront les bases pour la création des centres ? Dans quelle optique de gestion et gouvernance – toutes les structures existantes ont des gestions différentes – et avec quelle logique de participation technique ou financière de l’État, des collectivités…?
Qui pourra être le bénéficiaire de fonds pour « créer » un centre ex nihilo ? Une association de préfiguration qui verrait le jour serait créée de quelle manière et par quelles personnes, dans les lieux où le tissu associatif est faible, voire nul ? Doit-on s’inquiéter de voir des faux nez associatifs, possiblement d’affidés de la majorité ou d’obligés de certaines directions politiques de villes ou métropoles, monter de vraies-fausses associations ?
Peut-on réellement considérer comme viable la création d’un centre, qui devrait être administré par les associations, par la pure volonté de communication du gouvernement ? Il apparaît illusoire de créer un centre sans que les associations n’en soient à l’initiative, plus fortement encore de le créer dans un territoire où aucune structure ne permet déjà la plus petite des visibilités. Et on peut questionner aussi la valeur de l’engagement de l’État à organiser un centre dans des lieux où l’action de la police et de la justice pour traiter les sujets LGBTI, les discours et l’action d’élus – notamment de la majorité – sont décriés par des militants.
Pourtant les centres sont des maillons indispensables. Le local (souvent trouvé/loué grâce à l’aide de collectivités locales) est essentiel, il le faut adapté, aux horaires utiles et pertinents pour leur territoire, assuré quelle que soit la relation avec la collectivité ou l’État. Le conventionnement, pluriannuel, est là une nécessité pour s’assurer de la bonne survie des centres. Mais ce sont surtout des moyens financiers et humains qui sont nécessaires pour « faire tourner » ces lieux. Ce dont ont besoin les centres existants, ce sont des aides de fonctionnement et pas uniquement de projet.
Les associations peinent parce que les moyens humains restent primordiaux. Assurer des ressources pour les budgets de fonctionnement doit être la priorité et organiser la possibilité technique d’embauche de salariés pour les faire grandir aussi. Comment la majorité qui a sabordé les contrats aidés va-t-elle répondre à ces nécessités ?
Enfin, plus généralement, l’aide aux centres LGBTI ou la création de centres ne peuvent être un palliatif à l’absence d’action publique. Demander à des associations de faire le travail que les pouvoirs publics ne font pas ne peut pas être une réponse acceptable. Elles ne peuvent remplacer l’État, tenter de pallier ses insuffisances, son absence de communication large et son manque de réactivité en cas de crise (l’épidémie de variole du singe/MonkeyPox en est une nouvelle illustration).
Un ambassadeur pour les droits LGBTI, avec quelle diplomatie ? Avec quel ministre des Affaires étrangères et pour quelles politiques ?
L’annonce de la Première ministre pour la création d’un poste d’ambassadeur des droits LGBTI, n’est neutre ni positivement ni négativement. À ce jour, nous ne connaissons pas les directives fournies par le gouvernement à notre réseau diplomatique sur les sujets LGBTI, comment croire qu’un ambassadeur nouvellement créé sur son sujet unique aura un poids quelconque face à ses interlocuteurs ?
Dans les pays où une politique continue, voire accrue, antiLGBTI est à l’œuvre (c.-à‑d. Russie, Turquie, Hongrie, Égypte, Iran, Ghana, Pologne, etc.), il pourrait être plus que pertinent que nos ambassades et réseaux diplomatiques soutiennent les associations et aident des évènements LGBTI+ locaux ou, pour le moins, affichent les couleurs arc-en-ciel sur la façade de l’ambassade à certaines périodes (journée mondiale du 17 mai, Marche des Fiertés/Pride). Il n’est que temps que la France rejoigne le réseau des ambassades comme les canadienne et néerlandaise, notamment qui réalisent cela. Où en est-on aujourd’hui ? Des pays alliés ont une politique visible et claire de mobilisation de leurs ambassades sur ces sujets, y compris en France !
Quelle est la mobilisation des réseaux culturels et économiques internationaux de notre pays pour faire valoir la ligne politique du gouvernement (qui n’est pas ambigüe, si l’on en croit Élisabeth Borne) sur les droits LGBTI ?
Le souhait d’avoir un ambassadeur dont la tâche sera de lutter pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la transidentité est évidemment le bienvenu, mais pourquoi en faire sa seule mission ? D’autant plus que le gouvernement Borne et cette majorité semblent redécouvrir ce sujet. S’il y a un risque non négligeable d’avoir un « ambassadeur de seconde zone » parce que son travail serait limité à ce seul champ (déjà faiblement porté par ce gouvernement), il y a aussi la question importante de l’accueil qui lui serait réservé à l’international, et ce que ce gouvernement lui apporterait comme soutien dans des situations parfois complexes.
La nécessité de porter les questions LGBTI à un haut niveau est dans la suite logique de ce que la France a réalisé. Évoquée une première fois en 2008 à l’Onu, par la secrétaire d’État Rama Yade, c’est François Hollande qui avait été le premier chef d’État à soutenir, devant l’assemblée générale, la dépénalisation universelle de l’homosexualité.
L’attaque inédite contre la diplomatie française par cette majorité et le président Macron, au point d’avoir récemment supprimé ce corps prestigieux, très spécialisé et sensible, donne « une certaine idée » du poids et des moyens de la personne qui sera désignée « Ambassadeur des droits LGBT+ ».
L’une des premières étapes serait que la centaine d’ambassadeurs en poste partout dans le monde soit déjà formée correctement sur les sujets LGBTI. Et qu’elle reçoive les consignes pour rendre visibles et organisée la lutte contre les législations antiLGBTI dans tous les pays, à fortiori ceux où la peine de mort reste possible pour les personnes homosexuelles.
Quid, encore, de la détestable gestion des demandeurs d’asile en France, notamment LGBTI ? Comment avoir un ambassadeur spécialisé sur les questions LGBTI si son périmètre d’action est restreint à la seule question de la dépénalisation universelle sans traiter d’autres ? Sans évoquer le rôle que peut jouer, avec une grande capacité, l’ensemble des outils économiques, commerciaux, culturels, linguistiques dont notre pays dispose et qu’il peut mettre à disposition d’une diplomatie offensive sur les droits des personnes LGBTI ?
Tout cela intervenant quelques jours après que Macron ait reçu à bras ouverts les dirigeants homophobes d’Égypte, des Émirats Arabes Unis et d’Arabie Saoudite…
Avec le discours de la Première ministre : la France ne connaîtra aucune avancée légale dans l’égalité des droits pour les personnes LGBTI+
Pour finir hélas, aucune annonce sur les avancées légales demandées par les associations pour les droits des personnes LGBTI n’aura été faite. Elles auraient pourtant pu faire la démonstration que la vacuité du programme présidentiel n’était qu’un funeste oubli et que « la ligne du gouvernement » était bien plus claire sur ces sujets.
Il n’y a aucune feuille de route pour des textes de lois permettant de résorber les discriminations – notamment celles créées par cette majorité – pour l’égalité des droits, pour les libertés. Mais personne ne s’y attendait. La seule véritable annonce manquante à discours de la première ministre reste celle-là, que le gouvernement indique qu’il sera désormais à l’écoute des associations et qu’il indique son souhait de renouer un vrai dialogue. Manqué.
La réponse est donc simple : l’exécutif joue une mauvaise comédie, celle de l’autruche. Nul n’en est dupe. Rendez-vous donc pour de potentielles avancées légales pour les droits LGBTI, uniquement après 2027, hélas.