Cette année encore, l’Ilga-Europe classe la France à une plus mauvaise place que l’année précédente. Cette fois-ci, notre pays est 10e, et son pourcentage de remplissage des critères recule à nouveau (63 %). Le résultat d’un cumul d’un manque de vision, d’une absence de réflexion sérieuse et concertée sur les sujets LGBTI et d’un refus de la macronie de les traiter efficacement, notamment politiquement.
Chaque année, l’ONG Ilga-Europe (la branche européenne de l’International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association) publie son classement des États en Europe pour les droits des personnes LGBTI+. L’ensemble des critères qu’elle fixe pour son classement permet à chaque pays d’obtenir un pourcentage de remplissage.
Il y a ainsi 74 critères regroupés en 7 catégories : égalité des droits et non-discrimination, famille, lutte contre les discours et crimes de haine, reconnaissance légale des différents genres, respect de l’intégrité physique des personnes intersexes, place accordée dans la société civile, droit d’asile.
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La France de Macron chute… une fois de plus
Alors que les ministres du gouvernement Borne ont fait étalage du 6e anniversaire de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, avec une communication au mieux déplacée, quand elle n’était pas directement outrancière, force est de constater que sur ces 6 années, la France ne s’est relevée qu’une seule fois.
6e du classement européen en 2018, avec 74 % de remplissage des critères – plus haut score jamais atteint par la France –, le pays s’est retrouvé depuis à la 9e, puis 13e deux années durant avant de remonter à la 6e place grâce aux tardifs calculs électoralistes qui mènent à l’adoption d’une PMA au rabais avant la fin du mandat précédent. La 10e place obtenue cette année, avec une baisse du score de 65 % à 63 %, illustre le mépris avec lequel cette majorité de la droite LREM/Renaissance/Horizons/Modem traite les questions LGBTI.
Sous Macron, en place depuis 6 ans donc, la France n’a toujours pas retrouvé sa belle 5e place obtenue en 2017, lorsque la gauche était au pouvoir ! Cette position aurait par ailleurs pu n’être que symbolique, si, au moins, le score de la France avait réellement augmenté dans les classements Ilga-Europe. Ce qui a eu lieu, de manière constante, entre 2012 et 2018.
Mais cette absence totale de concertation, de réflexion et de vision pour l’égalité des droits LGBTI et la lutte contre les discriminations se retrouve très explicitement dans ce nouveau classement. La France y est encore largement dépassée par des pays frontaliers, pourtant très variés : l’Espagne (gouvernée à gauche et qui monte… jusqu’à 74 %), la Belgique et le Luxembourg. Malte, elle, continue de faire la course en tête, avec 89 % de critères remplis.
Apathie et absence de vision pour les droits LGBTI en Macronie
Le classement 2023 de l’Ilga-Europe illustre le manque cruel de politiques publiques ou de textes légaux permettant de faire évoluer les droits LGBTI en France, et de lutter correctement pour le respect, la visibilité et contre les discriminations.
Cette situation n’est malheureusement pas inédite. Entre la loi bioéthique finalement adoptée en 2021 à quelques mois des élections nationales, le labyrinthe du texte contre les thérapies de conversion avec le cirque gouvernemental ambigu qui avait eu lieu, rien de neuf ou de formulé concrètement n’a été adopté par l’exécutif ou les majorités parlementaires.
Cette année, dans les critères manquant à l’appel, l’Ilga pointe de graves manques notamment en termes d’éducation, de santé, d’homoparentalité, de prise en compte réelle de la transidentité et des intersexes. On peut y adjoindre que le plan LGBTI de 2020 annoncé très en retard, et ne disposant ni d’ambition ni de moyen en sus (l’accord de gouvernement allemand prévoyant 70 millions d’euros par an sur le budget fédéral est d’une tout autre mesure !), n’a été qu’un prétexte sans démonstration de volonté politique. Celui préparé dès cette année semble être une fausse concertation avec un nombre d’associations LGBTI+ « associées » limitées et sans réels interlocuteurs ministériels adéquats pour sembler rassurer quant à l’effectivité du plan pluriannuel à venir.
On notera, de plus :
- Une ouverture de la PMA, votée en toute fin de quinquennat, s’était faite au rabais (à ce jour il n’y a eu en 1 an et demi que quelque 23 naissances sur plus de 22 000 demandes de PMA réalisées par des lesbiennes), avec de graves inégalités selon les territoires, et le refus d’y inclure les personnes trans ou de mettre en place une législation réellement protectrice et qui permette une protection, y compris des mineurs trans.
- Un niveau de violences antiLGBTI très élevé. Elles ont doublé en 5 ans, d’après les propres chiffres du ministère de l’Intérieur,
Cachez ce genre que je ne saurais voir
Le classement Ilga-Europe pointe une nouvelle fois la défaillance évidente de la France sur les droits des personnes transgenres et intersexes. Sur ces deux sujets, les mandats de Macron n’ont tout simplement été synonymes d’aucune avancée majeure. Un retard insupportable pour les personnes concernées et leurs proches.
Aucun texte de loi, aucune disposition règlementaire n’a été produite qui soit solide sur les droits des intersexes. Les mutilations chirurgicales à la naissance ne sont toujours pas formellement interdites en France. Et aucune réflexion n’a été menée sur la mention du genre à l’état civil et la possibilité d’un troisième genre ou d’une mention neutre/divers…
Il n’y a pas non plus, à ce jour, d’avancées pour les droits à l’autodétermination des personnes transgenres et des textes permettant de régler des situations juridiques compliquées pour les parentalités trans.
On ne saurait passer sous silence la grande complaisance (quand ce n’est pas l’appui délibéré) de la majorité LREM avec des militantes transphobes qui sont reçu·es avec un plaisir manifeste par des députés et la présidente de groupe macroniste Aurore Bergé. Les choix clairs de la majorité de servir de relai des paniques morales antitrans directement importées des groupes réactionnaires et religieux d’outre-Atlantique. Les associations LGBTI savent bien ce qu’est « l’ambiance » du moment et du danger que la transphobie représente pour les personnes trans et pour leurs souhaits professionnels, personnels, familiaux…
Aucun exemple pour les droits LGBTI dans les gouvernements de Macron
S’il ne faudrait pas croire que la mise en œuvre de politiques publiques (réactionnaires ou progressistes) est une évidence pour les personnes concernées, la présence de ministres aux positions et aux votes clairement homophobes et sérophobes depuis 2017 ont contribué à la stagnation ou au recul de la France au classement de l’Ilga-Europe.
Le meilleur exemple de cela étant peut-être la saisissante déclaration de l’ex ministre Caroline Cayeux avant l’été 2022, peu après sa nomination, qui n’aura jamais donné lieu à aucun recadrage, mais à une grossière communication de crise, afin que le récent gouvernement Borne ne soit pas trop mal vu par « ces gens ‑là »…
Une communication grotesque, outrancièrement réitérée il y a quelques semaines avec les pinkwashings ridicules de ministres en exercice au lourd passif, candidat·es à Matignon. À l’image des « ministres poids lourds », Darmanin et Béchu, au moment des 10 ans du mariage pour tous, qu’ils avaient si vigoureusement combattu. Ou encore de mauvaises opérations de communication en instrumentalisant des comingouts opportunistes de 2 ministres impopulaires en espérant créer des contrefeux à des mesures largement rejetées par la population. Tout cela sans aucun engagement concret de la part des ministres concerné·es pour les droits LGBTI ou la lutte contre les discriminations dans leur propre ministère…
Le bilan de cette majorité relative de 2022 est aussi, au bout d’un an seulement, d’avoir voté différentes lois avec les députés RN, et d’avoir même fait élire 2 vice-présidents à l’Assemblée nationale de ce parti (au programme affiché) très hostile aux droits des LGBTI.
Quelle voix de la France à l’étranger ?
La diplomatie de la France s’est régulièrement révélée molle ou en trompe‑l’œil face aux gouvernements LGBTIphobes, en Europe ou même au-delà. La France n’a rejoint que tardivement une démarche juridique intraeuropéenne contre une nouvelle loi homophobe de la Hongrie d’Orbán. Les actions de la France dans les différentes procédures internes, liées aux traités européens, ne l’ont pas placé en tête des pays européens qui demandaient des comptes à un autre membre, quant à son respect de l’État de droit, des droits des minorités, des droits des femmes…
Les marques de courtoisie à destination de dirigeants jusqu’à inviter Narendra Modi, dirigeant réactionnaire et antiLGBT de l’Inde, ayant attaqué l’État de droit et les minorités religieuses également, comme invité d’honneur pour le défilé du 14 juillet après Poutine et Trump, ne sont plus une surprise hélas.
Outre les invitations de chefs d’État aux actions, discours et bilans législatifs antiLGBTI (au moins !) lors des 14-juillet, comme avec Poutine, Trump, Modi, c’est un silence inquiétant autour des enjeux liés aux droits LGBTI dans le monde – évidemment connectés aux droits des femmes et à l’état de santé de la démocratie – lorsque rien n’est dit par la France sur ces sujets, et sa rare parole est inaudible lorsqu’elle est exprimée. Un souci évident pour le dernier pays d’UE à être membre permanent du conseil de sécurité de l’Onu. Les associations continuent de questionner le rôle et le poids, au sein du dispositif diplomatique de la France, de l’ambassadeur pour les droits pour les LGBTI, et qui ne peut pas être un écran de fumée.
Quel engagement pour les associations dans le pays ?
Il ne s’agit pas d’une nouveauté, car c’est depuis le Covid-19 que le tissu associatif LGBTI est très fragilisé, et les associations en France continuent de rencontrer des difficultés dans leurs missions, par des aides financières ou l’appui des services de l’État. Mais c’est toutefois une nouvelle question qui se pose avec le choix fait par le gouvernement de diminuer ou supprimer des subventions publiques à des structures. Notamment à l’InterLGBT, qui est l’interassociative nationale interlocutrice des pouvoirs publics depuis de nombreuses années et qui, pour cette année, se retrouve privée de fonds délivrés par la Dilcrah. Un choix qui en dit long.
En dépit des annonces faites par la Première ministre lors de son déplacement en urgence à Orléans pour circonscrire l’incendie Cayeux, et la promesse de fonds, sans plus de précision, les attaques contre les centres LGBTI sont de plus en plus nombreuses. Et leur capacité à agir est réduite, entre la déconsidération par les pouvoirs publics et le retrait de subvention, dès qu’ils prennent des positions qui déplaisent.
Entre actualités manquées et habitudes ancrées : pas de pas en avant pour les droits ou la visibilité
Dans une liste pêle-mêle des ratés de la France, par action ou par omission, on ne peut aussi que regretter que ces points viennent afficher, outre les critères très concrets du Rainbow index :
- pas de programme de formation obligatoire ni engagement en faveur de la visibilité LGBTI dans le monde sportif (sport scolaire, universitaire, associations ou clubs pros ou amateurs, fédérations nationales, CoJo…) alors que les JOP de Paris 2024 auraient pu être une occasion de s’emparer de ce sujet. Après les scandales liés aux affaires Le Graët qu’une insulte faite à Zinédine Zidane a fini par faire partir, contrairement à ses actes et discours homophobes ou sexistes… Il n’y a pas eu non plus de garantie exigée par l’exécutif auprès du CIO et des fédérations internationales afin de bannir tout rejet des LGBT, notamment des trans, lors des épreuves. Ni même de travailler sur ce sujet pour les prochaines compétitions sportives et la vie des fédérations nationales, avec des acteurs associatifs et des chercheur·ses,
- absence de mesures fortes et opérationnelles contre les discours en ligne antiLGBTI, le cyberharcèlement LGBTIphobe et autres pratiques violentes ou haineuses très courantes, notamment sur les réseaux sociaux,
- à ce jour, alors que les actions d’associations pour l’entretien et la visibilité de la mémoire des luttes LGBTI continuent, il n’y a toujours aucun engagement pécuniaire ferme et pérenne du gouvernement en faveur de l’histoire, la recherche dédiée, la mémoire et les archives LGBTI,
- la mise en danger de l’audiovisuel public, souvent pionnier pour la visibilité des LGBT par sa brutale « mise sous tutelle » avec la fin de la redevance audiovisuelle est un mauvais signal. Le succès critique et populaire de l’émission « Drag Race France » sur France 2, où de multiples sujets liés aux questions LGBTI ont pu être abordés, est une démonstration de la capacité du service public à être un vecteur de réflexion et de lutte contre les discriminations. Soumettre uniquement au bon vouloir des revirements, caprices et exigences du pouvoir en place via des enveloppes noyées dans les méandres du budget de l’État est un choix plus que hasardeux et d’autant plus dangereux alors que siègent de nombreux députés d’extrême droite qui ne cachent pas leur affinité avec LMPT, ses thèses et leur discours contre la « propagande LGBTI »,
- sur ce point audiovisuel, l’autorité publique, émanant d’un organisme étatique, l’Arcom (ex-CSA), est manifestement bafouée. Se rendant incapable de surveiller le respect du cahier des charges de l’audiovisuel privé. Incapable de sanctionner les manquements et dérapages répétés sur les antennes de plusieurs radios et chaînes de télés qui ont fait le choix d’être les diffuseurs d’idées réactionnaires antiLGBTI.
Dans le classement l’UE et l’Europe : des frontières de progrès floues
Cela devient un gimmick dans le classement de l’Ilga-Europe, mais il faut continuer de saluer les scores régulièrement élevés de Malte lui conférant la première place depuis très longtemps. Avec toujours les réserves que des organisations françaises sur l’absence de droit à l’avortement ont pu émettre.
Les classements des pays membres de l’UE sont parmi les meilleurs, c’est un point qu’il faut rappeler et saluer. Il y a une vraie démarche politique et légale au sein de l’UE et de ses institutions contre les discriminations LGBTI et pour l’égalité des droits.
C’était il y a un peu plus de 3 ans maintenant que l’UE avait diffusé sa première stratégie LGBTI, à l’image de celle contre le racisme ou pour l’égalité de genre. Dans les différentes délégations des commissaires européens, et avec un programme visant à la fois l’harmonisation des droits et la mise en place de règlementations spécifiques pour gérer les questions transfrontalières posées aux personnes, couples et familles LGBTI notamment.
Avec les traités européens, les décisions de justice s’appliquant dans l’UE et les divers textes produits par le Parlement et par la Commission, c’est un corpus légal qui permet à tou·tes les citoyen·es de l’UE de profiter de droits, opposables, en dépit de l’homophobie décomplexée de certains gouvernements et des lois qu’ils font passer, contraires à leurs engagements au sein de l’UE.
C’est ainsi que l’on ne peut que s’attrister de voir que des pays membres de l’Union européenne, pourtant première région du monde pour la défense des droits LGBTI en les ayant intégré politiquement dans ses textes, continuent d’être si mal notés, à l’image des évidentes Pologne et Hongrie. Et sur ce point, tant la France que l’UE font la démonstration de leurs difficultés à faire appliquer des textes pourtant signés de longue date et montrer que l’UE est aussi une protection pour les minorités ciblées par des pouvoirs réactionnaires et d’extrême droite.
L’Italie continue d’être la lanterne rouge de l’Europe occidentale, et ce n’est pas l’arrivée au pouvoir de la fasciste Meloni et son alliance avec la droite qui permettra de combler les lacunes du droit italien pour les droits LGBTI ou même de lutter contre les discriminations. Leurs discours et leurs actes politiques visent les LGBTI et contribuent à la diffusion des thèses complotistes à leur égard.
Il faut pourtant souligner que, en dehors de l’UE, il y a 3 nations qui sont parmi les premières du classement de cette année et régulièrement bien classées par l’Ilga-Europe : Islande et Norvège toutes deux devant la France.
Et que même dans les Balkans, des progrès sont réels pour les droits des LGBTI, avec cette année le Monténégro qui vient talonner la France par sa 12e place et son score de 61 %. Il dépasse la Grèce, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Autriche, tous membres (ou ex) de l’UE pourtant. D’autres encore, comme les pays baltes ou la Roumanie, forment la queue de comète de l’UE dans ce classement, avec le duo polono-hongrois.
Il faut évidemment intégrer à ce classement et à ces scores, les dynamiques dans chaque pays et en comparaison entre les uns et les autres. C’est tout le principe d’un classement annuel que de ne pas regarder uniquement l’évolution d’un pays par rapport à son score précédent, mais de le situer sur une échelle avec les autres États.
Il s’agira alors pour les militant·es d’expliquer ou de lire, ce qui relève de la volonté de progresser, de l’apathie totale ou du souhait délibéré de « régresser », lorsque des gouvernements qui s’attaquent aux LGBTI sont au pouvoir.
La France doit vite reprendre le chemin de l’égalité
En France, on oscille gentiment entre l’indolente ignorance et une volonté de ne pas en faire trop, quand toutefois on choisit de faire quelque chose. À ce jour, le bilan de Macron fait la démonstration d’un sujet délibérément oublié, sauf à de rares hasards dus au calendrier électoral. Il faudra donc autre chose pour voir notre pays progresser.
Autre chose que cette alliance baroque des droites, de diverses obédiences, aux discours conservateurs, avec des alliés qui reprennent leurs meilleurs accents religieux traditionalistes dès que l’occasion se présente.
Si, à un moment, la droite macroniste manquant de connaissances sur ces sujets et refusant toujours de consulter et recevoir correctement les associations LGBTI du pays souhaite avancer, elle pourra au moins tenter de lire et s’inspirer des 600 propositions concrètes, sur tous les grands sujets, issues de notre Manifest’HES 2022.